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jeudi 19 décembre 2013

...motus et bouche cousue...

Quand t’as l’impression d’être vraiment trop en boucle, t’as toujours tendance à te replier sur toi-même. Pour ne pas emmerder le monde, ne pas trop déranger, ne pas plus passer pour une tarée que tu ne le fais déjà en temps normal. Et puis ça t’arrange, parce que tu ne trouves pas les mots, t’es là avec ton angoisse de la page blanche qui paralyse tes petits doigts boudinés et censure l’extraction de la pensée. Parce que par contre ce n’est pas parce que tu ne dis pas que tu ne penses pas, évidemment. Dans ta tête y a le flot ininterrompu de la même merde habituelle, avec, en plus, l’actualité pesante qui en rajoute une couche. Comme sur un disque rayé c’est toujours les mêmes musiques qui se répètent, tes mécanismes de défense ne fonctionnent pas très bien et le noir envahit un peu ton dedans.

Du coup, tu la fermes. Tu lis les mots des autres et tu chiales de chacune de leurs émotions, tu t’en nourris même mais dans ces moments là t’es tellement bourrée d’empathie que ça te fait presque mal. Non pas que tu te sois transformée en Mère Teresa de la compassion, qui porte la douleur du monde sur ses frêles épaules. Ton manège à toi est bien plus égoïste que ça : t’en as tellement marre de traîner tes casseroles et ton putain de mal de bide que tu préfères regarder ce qui se passe ailleurs pour ne pas trop focaliser sur ta petite personne. Mais du coup, un peu sensibilisée par ce qui te tombe dessus en ce moment, t’as du mal à rendre ta peau complètement étanche et les douleurs des uns et des autres arrivent à se frayer un chemin jusqu’à juste en dessous. Ça te pique un peu. Ça te brûle parfois.

Donc toi t’en es là, la bouche cousue, les doigts immobiles, avec tout ton fatras d’émotions à l’intérieur et la peur que ça commence à se voir. Parce qu’évidemment quand tu ne fais pas sortir le flot, il s’accumule un peu partout dans ton corps et c’est un peu comme quand la bile ne s’écoule pas, ça se voit. Bon c’est un peu plus glam qu’une jaunisse certes, mais les symptômes apparents sont nombreux pour qui sait où regarder. Les valises sous les yeux, eux-mêmes bien rougis de fatigue, la respiration plus saccadée, le pas plus lourd.

Comment tu fais toi quand ça va déborder mais que tu ne peux pas extirper sans te mettre à mal ? T’as bien deux trois petits trucs, t’écoutes pas mal de musique en chantant tout ce que tu ne peux pas dire, tu te noies dans le travail, par exemple. Tu sais très bien que ça va pas faire diversion bien longtemps et qu’à un moment faudra que tu craches le morceau parce que c’est en train de ronger chacun de tes organes un à un et que la douleur est à la limite de l’humainement supportable.

Mais devant les gens tu fais face, tu luttes pour que ça n’interfère pas trop dans ta communication, tu ne tombes plus jamais le masque, t’as un sourire collé sur ta bouche et putain qu’est-ce qu’il est faux, t’as de l’attention pour chacun mais putain qu’est-ce que tu mens quand tu fais croire que c’est complètement désintéressé, tu mets tout ton jus dans les actions indispensables du quotidien mais putain qu’est-ce que t’en as rien à foutre. Un automate, un putain de robot qui avance tout droit comme il faut, qui s’applique à faire vite et bien, qui donne ce qu’on attend de lui. Sans aucune once d’humanité là-dedans. Normal, quand on sait que les rares fois où tu t’autorises à ressentir ça ressemble toujours à l’idée que tu te fais d’un coup de poignard.

Un jour peut-être que t’arriveras à gérer tes petits malheurs insignifiants avec la dignité et le courage d’une vraie dame. Que t’arriveras à en parler sans donner l’impression que t’es en train d’en crever. Que tu sauras comment dire le mal sans pour autant le cracher à la tête des gens. Que t’auras d’autres formes d’expression que toutes ces putain de larmes et cette rage et la haine que tout ça t’inspire. Que t’arrêteras d’avoir mal au bide à chaque fois qu’il te faudra parler de ce qu’il y a à l’intérieur de toi.

Un jour, peut-être.
D’ici là, t’as raison… boucle la.

© Isa – décembre 2013

4 commentaires:

  1. J'ai mal avec toi ...allez, tais-toi vieille tante, n'en rajoute pas, tu n'y peux pas grand-chose.

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    1. Ah non hein. Je ne veux inspirer ni douleur ni pitié.

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  2. Et pourtant, le lecteur a son ressenti. C'.est ainsi.

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