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mercredi 31 décembre 2014

Le bilan

T’es obligé de regarder en arrière. C’est un rituel de passage à l’année suivante, consensuel, imposé, encouragé par les bêtisiers qui défilent partout à la télé et à la radio, inspiré par les rétrospectives qui s’étalent partout sous tes yeux, interpellé par ces autres qui te parlent de tes futures résolutions et de comment tu as réussi à t’en sortir à propos de celles que tu avais prises au début de cette année.
Parce que cette année, elle est en train de s’envoler, elle t’échappe déjà ; en ce dernier jour, alors que tu es à peine éveillé, tu la vois te filer entre les doigts, les secondes fondent dans des minutes qui disparaissent dans des heures qui courent plus vite que le temps, et hop c’est déjà demain, et hop c’est déjà l’année d’après.
Tu n’as pas eu le choix, il t’aura fallu sauter le pas comme tout le monde, le temps passe invariablement, autonome, indépendant, il ne t’attendra jamais, il ne fera jamais de boucle, il coulera toujours dans le même sens et c’est une marche infernale sur laquelle ton emprise est absolument inexistante.

Alors il ne te reste plus qu’à regarder toutes ces secondes et ces minutes et ces heures et ces jours et ces semaines et ces mois qui viennent de s’écouler, qu’ai-je fait de cette année ? Comment l’ai-je remplie ? Ai-je suffisamment œuvré pour y mettre du beau ? Ne me suis-je pas trop reposé sur les acquis de toutes celles d’avant ? Ai-je réussi à en faire un moment exceptionnel, une somme d’instants merveilleux ? Ai-je réussi à la rendre particulière, intense, unique ? M’y suis-je assez détendu, réalisé, épanoui, émerveillé ? En ai-je profité pour rêver, pour construire, pour avancer, pour grandir ? L’ai-je suffisamment croquée, dévorée, savourée ? Puis-je maintenant me permettre de tourner la page sans regret, sans autre larme que celles provoquées par l’intensité du moment, par la beauté du temps qui passe ?

Et soudain avec ces questions arrivent des milliers d’éléments de réponse, des souvenirs pêle-mêle, des bons, des moins bons, et pendant que ton esprit s’emplit de choses que tu classes inconsciemment dans des colonnes et dans des cases et dans toutes les petites boîtes de ta mémoire, pendant ce temps-là tes lèvres dessinent sur ton visage un sourire que tu ne contrôles pas, elle est là la nostalgie, elle t’envahit sans que tu ne puisses la maîtriser, tu vois défiler des images et des mots et des visages et tu souris, c’était bon cette année, c’était riche de rencontres, c’était formateur, c’était l’école de la vie, et oui j’ai galéré, oui j’en ai passé des nuits à ne plus savoir comment continuer, oui il y a eu des moments de doute, des réflexions douloureuses, des disputes interminables, des conflits insupportables, oui bien sûr il y a eu des manques, ceux qui sont partis à jamais parce que la vie terrestre a toujours une fin, ceux qui sont partis à jamais parce que leur amour pour toi a parfois une fin, bien sûr il y a eu des adieux déchirants, des larmes, des cris, des mots jetés en pâture à un public un peu flou et pas tout à fait défini, toujours « dire à tous plutôt qu’à un » disait Zazie, bien sûr il y a eu des loupés, des échecs cuisants, des rendez-vous manqués, des déclarations arrivées trop tôt ou trop tard, un timing maladroit parfois, bien sûr il y a eu de sacrées gamelles, des chutes vertigineuses, tu l’as emprunté bien plus souvent qu’à ton tour ce putain d’ascenseur émotionnel, penthouse, basement, jamais d’entre deux, c’est tout toi ça, ça l’a toujours été, ça le sera encore demain, bien sûr que parfois c’était dur mais putain parfois c’était tellement bon, et puis peu importe de quel côté penchera cette balance, peu importe comment se remplissent les colonnes du bon et du mauvais, le bilan n’a pas besoin de s’embarrasser d’une dichotomie manichéenne inutile, le bilan se résume par ces quelques mots imbattables, incomparables, les meilleurs que tu puisses trouver, tu n’en voudrais aucun autre, le bilan parfait c’est pouvoir dire, à la fin d’une année et à l’aube de la suivante, « j’ai vécu ».

Et putain, oui… j’ai vécu.

© Isa – décembre 2014

samedi 6 décembre 2014

Variations sur un même (je) t'aime

Dans le temps...

C'est parfois immédiat. Au premier coup d’œil, l'évidence. Tout se bouscule, tout se met en place, tout ce qui était déjà là libère de l'espace pour ce qui arrive et s'impose, tout ce qui pré-existait est relativisé à la lumière de ce nouvel élément. C'est un coup au cœur, c'est presque fatal, ça fait trembler toutes les feuilles de tous les arbres et s'allumer toutes les lumières de toutes les villes et brûler tous les cierges de toutes les églises, c'est là maintenant, on ne veut plus faire sans, et puis qu'importe parce qu'on sait déjà qu'on ne pourrait plus faire sans... même si on le voulait.

C'est parfois progressif. Comme le bourgeon qui aura besoin de temps et d'eau et de soleil pour éclore, comme la chenille qui cheminera doucement avant de devenir papillon, comme l'enfant qui trébuche avant de marcher et finira par ne plus s'arrêter de courir. Ça évolue avec précaution, ça se nourrit de vécu avant de s'affirmer, ça grandit à la force des mots qu'on prononce tout bas et des mains qu'on frôle timidement et des regards qu'on échange en rougissant. Puis enfin ça s'avoue et se montre et se crie sur les toits, enfin ça se libère et ça porte un nom, enfin on sait qu'on ne pourrait plus faire sans... même si on le voulait.

C'est parfois inattendu. C'est le jour qui se lève brusquement alors qu'on n'y voyait rien, c'est le déluge d'une averse tropicale alors que le soleil éclatait, c'est le coup en plein ventre alors qu'on se pensait invincible. C'est une déviation soudaine sur l'itinéraire qui semblait tout tracé, c'est une route dont on comprend tout à coup qu'on l'avait empruntée à contresens, c'est l'indifférence qui nous nargue quand elle laisse subitement place à quelque chose qui ne lui ressemble plus du tout. C'est faire le grand écart entre l'inenvisageable et le désir fou sans jamais passer par le stade du possible, c'est savoir sans y avoir été préparé qu'on ne pourrait plus faire sans... même si on le voulait.

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...et dans la forme.

C'est parfois fusionnel. C'est là tout le temps, je te veux avec moi et tu me veux près de toi, c'est nous deux le matin, le midi et le soir, c'est nous deux au réveil et encore nous au coucher, c'est toi qu'il me faut quand je veux rire et moi qu'il te faut quand tu as besoin de pleurer et toujours nous deux pour inverser les rôles. C'est ne plus savoir me passer de toi, c'est trop dur, c'est trop lourd, tiens-moi la main encore un peu, je ne veux plus avancer seule, je ne veux plus avancer si tu n'es pas à côté de moi, à quoi bon et pour quoi faire et pour aller où, c'est ma vie qui s'est emplie de toi et qui ne veut plus jamais en être privée.

C'est parfois chaotique. Ce sont des hauts, des bas, des moments où l'amour est fort comme la haine, des moments où la haine est douce comme l'amour, c'est moi qui te rejette à force de t'avoir trop voulu, c'est toi qui me ramènes à toi après m'avoir trop éloignée, c'est du rire puis des larmes puis du rire puis des larmes, ce sont des mots tendres entremêlés de disputes, ce sont des conflits ponctués de déclarations, c'est du Zazie qui chante qu'"à chaque fois qu'on se laisse, un jour on se revient", c'est je t'aime moi non plus mais quoi qu'il arrive, je t'aime et je veux que tu m'aimes.

C'est parfois lisse. C'est la constance et la sérénité, c'est la certitude que l'autre sera là aussi fort qu'on sera là pour lui, c'est l'absence de doutes, c'est de ne pas avoir besoin de te rappeler sans cesse que tu fais partie de mon monde, c'est de savoir, même quand tu ne le dis pas, que j'ai une place dans ton univers, c'est la confiance qu'on a en ce lien solide qu'on sait indéfectible, c'est la mer calme que la houle n'agitera jamais, c'est le ciel bleu que même l'arrivée de la nuit ne saura jamais masquer, c'est ta présence rassurante, même de loin, même invisible, c'est ma disponibilité pour toi même quand tu ne me vois pas.

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De chacune des relations avec ces autres qui m'entourent et qui comptent, peu importe la façon dont nos liens se sont tissés et révélés, peu importe comment nous continuons à les entretenir au quotidien, peu importe si tu es l'ami ou l'époux ou la mère ou la sœur, peu importe aussi que les autres n'y comprennent rien ; de toi, de moi, de ce que nous vivons ensemble, je ne retiens que l'amour.

© Isa – décembre 2014

vendredi 14 novembre 2014

Nous.

C'est fort, c'est d'une intensité rare, c'est presque bizarre tant c'est difficile à comparer avec ce qu'on a connu avant, et puis cette sensation étrange d'être encore deux enfants enfermés dans des corps d'adultes, parce qu'on rit et qu'on vibre, parce qu'on touche l'insouciance du bout des doigts, qu'on danse sur les parvis des gares et qu'on boit à en redevenir les adolescents qu'on n'a jamais vraiment été.  Et pourtant être aussi des grandes personnes, avec leurs rêves et leurs projets et leurs peurs au quotidien, avec leur besoin d'avancer et de construire, avec leurs envies et les contraintes qui les empêchent de se réaliser. Être dans le partage de ces deux facettes, s'étonner de savoir passer ensemble de l'une à l'autre, comprendre qu'on espérait inconsciemment rencontrer quelqu'un avec qui il était possible de les laisser s'exprimer tour à tour, aimer ça. 

C'est prenant, c'est fusionnel, tu n'es pas là et je me questionne, je ne suis pas là et tu t'en inquiètes, on a du mal à se le dire parce qu'on est pudiques comme des cons, parce que c'est pas tout à fait le schéma que choisissent normalement un homme et une femme de nos âges, parce qu'on a peur que ce soit trop à recevoir pour l'autre mais surtout trop à donner pour soi, on n'a pas vraiment l'habitude de ce lien sorti de nulle part qui se révèle dans les échanges et les clins d'oeil qui vont du matin au soir, c'est troublant même, et que vont en penser les autres, et que va en dire la personne qui partage ma vie et puis comment dois-je le vivre moi ?

T'as vu, vu de dehors ça ressemble à de l'amour, ça en a les codes et les surnoms, ça en a l'impulsion et la présence continue, c'est là quoi qu'il arrive, doucement, en trame de fond, c'est là comme en veille, en attente d'un rire que j'ai envie de partager avec toi, d'une peine que tu voudrais que je t'aide à porter. C'est là dans les conseils qu'on échange, alors qu'on sait bien que l'autre a le droit de ne pas les suivre, qu'il ne va d'ailleurs sûrement pas le faire, mais qu'il a besoin d'entendre, encore, encore, il les réclame quoi qu'il décide d'en faire par la suite. 

Ça ressemble à l'amour, on en utilise le vocabulaire, on emploie des mots forts, ils sortent sans pouvoir être stoppés, ils se posent au bout de nos doigts et sur nos lèvres puis, une fois que c'est trop tard parce qu'ils ont été dits, on prend conscience d'à quel point ils sont vrais, à quel point on les ressent, et l'ampleur du truc fait peur parce que c'est loin très loin de ce qu'on a connu avant, mais est-ce que c'est grave, est-ce que c'est ça l'important ? 

On sait bien que non, l'important c'est plutôt d'entretenir, de continuer à arroser pour que ça ne meure pas, d'apprendre à assumer pour l'autre qui a besoin d'exister aux yeux des gens, pour le monde autour qui va se questionner, et surtout pour soi que tout ça a rudement bousculé. 

L'important c'est de profiter, de comprendre que c'est parce que c'est rare que c'est si joli, que ce n'est pas grave que ce soit troublant, l'essentiel est bien ailleurs, je le situe au niveau du sourire que ton visage arbore quand on se retrouve, je le mesure à mon sourire à moi, qui y répond toujours.

© Isa – novembre 2014

mardi 4 novembre 2014

Le verre est là.

Bien sûr que tu as peur. Bien sûr que c’est difficile, faire le grand saut, plonger dans l’inconnu, quitter la zone de confort. Bien sûr que tu as conscience de tous les risques que tu prendrais, celui de tomber, de mal te réceptionner, de te blesser au-delà du physiquement supportable, de ne pas savoir stopper l’hémorragie. Bien sûr que tu te dis que tout ça demande trop de courage, celui que tu n’as pas, que tu penses n’avoir jamais eu d’ailleurs, et puis le temps passe et tu te crois trop vieux pour tout ça, pour te réinventer, pour reconstruire une vie, pour poser la toute première pierre d’un tout nouveau chantier.

Et pourtant…

Si tu changeais l’angle de vue, ne verrais-tu encore que les obstacles et les risques et l’immense probabilité que tout se casse la gueule ? Si tu regardais autrement, n’y aurait-il sous tes yeux que des lendemains incertains, la douleur des uns et des autres, ceux que tu laisses et ceux pour lesquels tu décides de changer ? Si tu y mettais un prisme différent, les couleurs seraient-elles encore si sombres, encore si floues, encore si fades ?

Le verre est posé là, devant toi. La ligne séparant le liquide du vide le divise à l’exacte moitié de sa hauteur. Comment choisis-tu d’en parler ? Comment choisis-tu de le voir ? Te rends-tu compte que c’est un choix qui n’appartient qu’à toi ? Te rends-tu compte que de ta propre perception découlera toute une vision du monde qui t’entoure, du monde dans lequel tu évolues ? Et de ta place en son sein ?

Et toutes ces peurs qui te retiennent, existent-elles ailleurs que dans ton imaginaire ? Ailleurs que dans tes intestins qui dansent la gigue face à l’ampleur des choix que tu as à faire ? Ailleurs que dans tes jambes qui flanchent devant la route qu’elles ont à emprunter ? Evitent-elles le danger ?

Et si tu répondais à la peur par l’espoir ?
Et si tu répondais à l’incertitude par la confiance ?
Et si tu répondais aux ombres par la lumière ?

Et si, plutôt que d’avoir des doutes et des remords et des a priori sur ce qui t’attend, tu t’entourais de volonté, d’optimisme, de puissance ?

Tes lendemains n’appartiennent qu’à toi, aussi entouré puisses-tu être par les personnes qui te sont chères, tu mourras comme tu es né. Seul. Tu vivras comme tu t’es construit. Seul. Les autres sont parfois béquilles, parfois tuteurs, mais souvent simples compagnons de route. Ce n’est pas à eux de choisir comment tu dois pousser. Ce n’est pas à eux de décider de la direction que tu as à prendre. C’est à toi de grandir et d’avancer, motivé par l’énergie qui te secoue le ventre, encouragé par tes premières pensées au réveil le matin, apaisé par les dernières images qui défilent sous tes yeux clos le soir. C’est ce qui te tient éveillé entre les deux, ce qui te donne le courage et la force de vivre tes journées, ce qui t’aide à tenir quand tu vacilles, ce qui te fait rêver, ce qui te sert de refuge, ce dont tu as besoin en permanence, ce que tu cherches autour de toi quand tout le reste flanche, ce sur quoi tu t’appuies, ce qui te fait sourire, ce qui te fait du bien, ce qui te soulage, ce qui t’apaise, c’est tout ça qui t’indique la route que tu dois prendre. Et peu importe s’il faut pour cela te séparer de ceux qui t’accompagnaient jusque là, peu importe que tu l’empruntes seul, et peu importe ce qu’il y a au bout. Avancer en harmonie avec tout ce que tu es là maintenant, avec celui que tu es devenu au fil des années, avec l’homme qui est né de l’enfant que tu as été et de tout ce qu’il a vécu depuis, c’est déjà être en bonne compagnie. La meilleure. La seule qui compte vraiment.

N’être que toi, ne marcher que vers là où toi tu as besoin d’aller.

Bien sûr que ça fait peur… Mais ça reste le seul moyen personnel, intime, valable et cohérent d’exister. Le reste n’est que futilité, ce sont des barrières, limites, contraintes, que tu te fixes comme des œillères t’empêchant de te réaliser. Est-ce réellement comme ça que tu envisages ton avenir ? Ne te dois-tu pas, à toi-même déjà, à ceux qui t’aiment réellement aussi, de chercher à vivre plutôt que de rester à regarder le temps passer ?

Je pose le verre là, devant toi.
Dis-moi.

© Isa – novembre 2014

dimanche 26 octobre 2014

Pas maintenant.

Un jour, tes erreurs de jeunesse seront réparées. Tu seras enfin suffisamment mature pour avoir les clés te permettant de les corriger, tu auras appris d'elles et ne les reproduiras plus, tu sauras les effacer. Elles t'auront forgée et poussée à devenir une version plus saine de toi-même, juste assez pour ne plus tomber dans les mêmes travers, juste assez pour que tu puisses enfin dire qu'en plus d'avoir vieilli, tu as aussi grandi. Un jour.
Mais pas maintenant.

Un jour, tu trouveras ta place dans leur vie. A équidistance du trop et du pas assez, entre l'euphorie et la mélancolie, à mi-chemin entre trop loin et trop près, entre trop froide et pas assez absente. Tu ne marcheras plus comme sur des œufs, mais, toute droite dans tes bottes et certaine du rôle que tu as à jouer auprès d'eux, tu avanceras droit sur une ligne tracée au crayon suffisamment épais pour que tes pas s'y emboîtent sans risquer d'en déborder. Un jour.
Mais pas maintenant.

Un jour, tu t'épanouiras dans ton activité quotidienne. Tu n'auras plus à porter le masque usant du sourire forcé et des hochements de tête sans conviction, tu ne t'encombreras plus de ces savoirs qui ne te sont utiles en rien, tu ne seras plus la courroie de transmission de ces valeurs auxquelles tu n'as jamais su adhérer. Tu seras libérée de ce qu'en haut on t'impose, affranchie des regards que d'en bas on te jette, tu t'échapperas de cet entre-deux étrange que seule la schizophrénie soigneusement développée pendant des années te permet d'affronter. Un jour.
Mais pas maintenant.

Un jour, tu pourras transformer tes rêves en projets. Tu monteras une marche supplémentaire vers la concrétisation de tes envies, elles ne seront plus mises au placard des fantasmes sans lendemain, elles quitteront le stade de l'imaginaire pour se matérialiser sous la forme de plans d'action, d'échéances et d'étapes à franchir. Tu auras le droit de les exprimer à voix haute, tu en parleras avec ce qu'il faut de conviction et de courage, et rien ne t'arrêtera. Un jour.
Mais pas maintenant.

Un jour, tu sauras faire du tri autour de toi. Tu sauras dire non à ceux que tu ne veux plus dans ta vie, tu sauras le faire sans trop les froisser et en assumant de ne pas vouloir te sacrifier, tu les repousseras avec douceur mais fermeté. A l'inverse, tu arriveras à prouver à ceux qui comptent à quel point ils comptent, à quel point c'est dur quand ils sont loin, à quel point ils sont devenus indispensables. Tu trouveras les mots justes pour chacune des personnes que tu croiseras, les mots exacts, ceux qui retranscriront à la perfection ce qu'il y a en toi pour eux, ni plus, ni moins, tout juste comme il faut, tout juste comme tu ressens. Un jour.
Mais pas maintenant.

Quand ?
On le saura un jour.
Mais pas maintenant.

© Isa – octobre 2014

dimanche 19 octobre 2014

Il y a moi & moi

Ne crois-tu pas qu'il est un peu trop facile de reprocher à l'autre de ne t'offrir qu'une vision parcellaire de la personne qu'il est ? Je ne peux donner que ce que tu es prêt à recevoir de moi, ne dire que ce que tu es prêt à entendre, ne montrer que ce que tu es prêt à voir. Ce n'est pas moi que je cherche à dissimuler, c'est toi que je cherche à préserver, quand l'image que je décide de faire parvenir jusqu'à toi est tronquée selon un schéma bien précis, quand elle est entourée de zones d'ombre, quand elle n'est pas exhaustive.

Ne vois-tu pas que si j'évite de tout dévoiler, c'est parce que je ne sais que trop que tu n'es pas apte à appréhender ce que je suis dans son intégralité ? C'est toi qui choisis de ne voir qu'une facette plutôt que tous les contours, c'est toi qui te contentes du personnage sans creuser pour trouver la personne, c'est toi qui décides de t'arrêter quand le travail de fouille te semble trop ardu. Ce n'est pas moi que je rends mystérieuse, c'est toi que je pousse à t'interroger, à t'intéresser, et je ne t'imposerai jamais ce que visiblement tu ne cherches pas à deviner.

Je n'ai aucun problème avec celle que je suis. Je connais tous mes courages, toutes mes imperfections, toutes mes failles. Je suis consciente de chacun de mes défauts, de chacune de mes facettes, de chacun de mes personnages. Je sais les rôles que je joue, je sais les vérités que je dévoile. Je connais toutes les astuces que je décline pour ne mettre en lumière que ce que tu es en mesure de regarder, et je connais parfaitement ce qui se cache au-delà. Je me connais par cœur, je me pratique depuis des années, je sais quand je suis dans la représentation et quand je suis dans l'être, je sais quand ce que je dégage est déguisé par les conventions, je sais quand ce que je montre n'est paré d'aucun artifice.

Tu me dis actrice, tu me dis menteuse, tu me dis manipulatrice parfois. Te poses-tu la question de pourquoi je dois jouer, mentir et manipuler ? Imagines-tu un seul instant te retrouver face à toutes les femmes que je suis, d'un coup d'un seul, sans aucune parure et sans aucun trait caché ? Visualise. Serais-tu capable de gérer à la fois le personnage public, celui qui est surjoué parce qu'il s'adresse à un auditoire étendu qui n'attend que le superficiel, le drôle et le léger, ce personnage plein de confiance et d'estime qui assène ses vérités sans se soucier de ce qu'en pensent les autres, mais aussi la femme qui se cache derrière, pleine de doutes et de failles et de contradictions, celle qui est effrayée par les gens et par le monde et par les envies qui l'assaillent ? Arriverais-tu à t'y retrouver, si tu avais ces deux moi réunis dans un seul corps, là juste en face de toi ? Assumerais-tu de devoir jongler de l'un à l'autre, de devoir rire quand je me donne en spectacle, de devoir vite retrouver ton sérieux quand j'exprime du vrai et du douloureux et du dérangeant ? Saurais-tu regarder la petite fille qui crie et pleure à l'intérieur de moi quand, blessée par la vie, elle avoue ne plus se retrouver dans mes traits adultes, puis soudainement recommencer à rire et à badiner quand le personnage haut en couleurs reprendra le dessus ? As-tu vraiment envie de ça ?

Il y a plusieurs mondes dans le monde, plusieurs personnes dans une personne. Et une infinité de possibilités de recoupages entre chacune de ces personnes et chacun de ces mondes. Chaque recoupage que je dévoile à tes yeux, je le choisis soigneusement en fonction de ce que je te sais capable de supporter. Ne viens pas me reprocher de ne rien te dire de plus, comprends plutôt que c'est à toi de montrer que tu as envie de savoir, et que tu as les épaules pour le gérer. Ne viens pas m'accuser de surjouer, comprends plutôt que c'est à toi d'être en demande de quelque chose de plus simple, de plus vrai. C'est un travail que je ne peux pas faire pour toi, je suis déjà bien trop occupée à le faire pour mes propres attentes vis-à-vis de ceux que je côtoie. Observe, trie, décide, et dis-moi. Tout est aussi simple que ça.

Et si parfois tu jalouses certaines de mes relations avec d'autres, qui te paraissent démesurément fortes et entières et sans aucune comédie, sache qu'elles sont nées d'une demande de leur part, vraie, sincère, motivée par une réelle envie. Qu'à un moment ils ont dit "je veux tout", et que j'ai vu et entendu et senti que non seulement ils le pensaient vraiment, mais qu'en plus ils étaient en mesure d'en assumer les conséquences. Et ça c'est rare et cher, c'est rare et beau, c'est rare et précieux, et ces personnes-là se comptent sur les doigts de la main. 

Regarde ta main à toi : es-tu sûr que tu me veux sur l'un de ces cinq doigts ? Es-tu sûr qu'il y a vraiment une place pour moi ? Que je ne la vole à personne qui la mériterait plus, qui l'honorerait plus ? Tu n'as aucune certitude, n'est-ce-pas ? Alors ne viens pas me reprocher de ne pas me donner à toi. Prends plutôt de moi le personnage superficiel, l'image publique, ils sont là pour ça. 

J'assume sans pudeur l'air hautain que cela va me donner de le dire : le vrai moi ne se gaspille pas. C'est valable pour chacun d'entre nous. Ne nous gaspillons pas, et ne gaspillons pas les rares places qu'il y a sur chacun de nos doigts.

© Isa – octobre 2014

samedi 27 septembre 2014

Rire & Vivre

On a probablement tous connu ces périodes un peu folles, un peu détachées de toute réalité, pendant lesquelles on s'est laissé aller à vivre à mille à l'heure, à dévorer, à se gaver, à s'enivrer des moments beaux et forts qui passent trop vite pour qu'on prenne le risque d'en perdre la moindre miette, on a tous couru après le temps, essayé de caser plusieurs journées à l'intérieur de 24 petites heures, on s'est senti pousser des ailes, mis en mouvement par une énergie dont on ne sait jamais tout à fait d'où elle nous vient, on s'en fout un peu d'ailleurs, l'important c'est d'avoir le jus, c'est d'avoir les muscles prêts pour l'effort, c'est d'en avoir assez sous le pied pour continuer à bouger.

Alors on y va, on croque et c'est grisant, on ne s'arrête plus parce que faire des pauses c'est pour les faibles, c'est une perte de temps, c'est gaspiller des secondes précieuses qu'on pourrait passer à vivre encore plus intensément, et puis s'arrêter ça voudrait dire aussi stopper le délicieux étourdissement qui ne nous quitte plus, tu sais quand la tête te tourne un peu parce que tout ton corps est en branle, parce que ton cœur bat fort et que tu vas encore plus vite que la vie qui grouille autour de toi, quand tu tiens debout uniquement grâce à ton mental qui te pousse à surpasser toutes tes limites physiques, quand tu te drogues à l'euphorie et à l'effervescence.

Alors on fait tout de façon frénétique, compulsive, instinctive, irréfléchie, irraisonnée, déraisonnable aussi, on avale des kilomètres de pavés arpentés, on fait la fête, on danse, on lève les verres et on les fait s'entrechoquer, on trinque à l'amour et à l'amitié et au bonheur et à l'insouciance et à la vie, on trinque à ce qu'il y a entre nous et aux sourires qu'on s'échange et à nos yeux qui se parlent sans que nos bouches n'aient à prononcer le moindre mot, on se rend soûls de ces instants de complicité, on est juste assez attentifs pour ne rien rater de ce sentiment incroyable d'être en parfaite harmonie avec soi, avec la terre sous nos pieds, avec les autres autour. Le reste n'est que futilité. Le reste n'existe pas.

On ne se laisse pas redescendre, ce serait une petite mort un peu, ce serait une fin trop brutale et on n'a pas les épaules pour ça, nous ce qu'on veut c'est poursuivre ainsi jusqu'au bout de la nuit, jusqu'au bout de la vie, on veut encore de la musique et le bruit des rires et l'ivresse et la folie aussi, on veut que ça s'éternise, on n'est même pas fatigués, et puis on se reposera quand on sera vieux, on arrêtera quand on sera morts. Alors on danse et on chante et on partage encore, on rit encore à s'en faire mal au bide, de cette douleur délicieuse qui nous rappelle qu'on est vivants, de cette brûlure contagieuse qui nous rappelle qu'on s'aime et qu'il n'y a plus que ça qui compte.

Et pendant qu'on fait tout ça, la vie coule autour de nous, son flot continu et imperturbable avance toujours dans le même sens, charriant avec lui tout un lot de choses dont on ne devine même pas l'existence, trop occupés qu'on est à ne penser qu'au plaisir, elle coule et met en place un avenir qu'on ne soupçonne pas, elle coule et tisse un filet dans lequel doucement elle nous emprisonne sans qu'on ne s'en rende compte, elle coule et met de l'enjeu là où on ne s'attend pas à ce qu'il y en ait un jour.

"On rigole, on rigole, et si ça se trouve là tout de suite, sans le savoir, on est à un tournant de nos vies" a-t-on résumé sur Twitter hier soir. 

Sans pour autant se demander si dans quelques heures, on en rira encore.
Sans pour autant chercher à avoir les idées plus claires.
Sans pour autant freiner ou au moins ralentir avant qu'il ne soit trop tard.
Sans pour autant parvenir à être suffisamment lucide pour comprendre que ce n'est pas parce qu'il est invisible que le mur en face n'existe pas.

Sans savoir si c'est une question d'heures, de jours ou d'années avant que la vie ne reprenne ses droits et nous force à prendre un virage inattendu pour lequel on n'a jamais été si peu préparés.

Alors chantons, dansons, trinquons, rions... jusqu'à ce que toute la poudre qu'on se jette aux yeux ne cesse subitement de faire effet. Parce qu'inévitablement, ce moment-là va finir par arriver.

© Isa – septembre 2014

lundi 22 septembre 2014

Ton monde à toi

Dans ton monde à toi, il n’y a que peu de place pour l’immobilisme. Stagner n’est pas une option, le mouvement est perpétuel, il faut avancer, marcher, courir, surtout ne pas ralentir, ou alors juste le temps d’observer et de choisir l’itinéraire, mais vite, sans traîner, rester sur place ça veut dire prendre le risque de voir le ciel se charger de nuages, prendre le risque de voir la nuit tomber. Comme tu n’aimes ni la tempête ni l’obscurité, tu préfèreras toujours partir en quête d’un ailleurs où il fera jour et grand soleil. Il y a quelque chose de l’oiseau migrateur dans ta personnalité, quelque chose d’animal dans l’instinct de survie qui te pousse à te déplacer, quelque chose de primaire dans tes envies de large.

Dans ton monde à toi, la peur de la chute n’empêche jamais la prise de risque. Ta capacité à envisager la douleur potentielle sans chercher à la fuir renvoie à une forme de courage aux yeux de certains, mais toi tu sais bien que ça s’explique plutôt par une certaine forme de folie, d’inconscience, de déni. Tu sais bien que c’est une drogue tout ça, essayer tout, tout le temps, à tout prix, sans penser aux conséquences autres que celles que tu espères, tu te répètes que la peur n’évite pas le danger et ça te donne tous les courages de la Terre, toute la puissance aussi, ce sentiment étrange d’être invincible et incassable alors que le passé t’a prouvé mille fois que quand tu tombes, ça fait mal. Mais forte de t’être relevée mille et une fois, tu accepteras toujours la possibilité de tomber encore.

Dans ton monde à toi, l’impatience est un mode de vie, un art que tu maîtrises à la perfection, trépigner fait partie du quotidien comme respirer ou te nourrir, d’ailleurs tu n’inspires pas que de l’air mais aussi de grandes bouffées d’envies ; tu ne te gaves pas que de nourriture terrestre mais aussi d’émotions, de moments, tu fais une boulimie de projets, de plans sur la comète, de désirs de plus en plus grands, de plus en plus impérieux, jusqu’à devenir plus importants que toi, tu n’es que l’exécutant de ces choses qui se décident sans toi, tu n’es que l’instrument par lequel elles finiront forcément par arriver, tu n’es que le pantin articulé contrôlé par son bouillonnement intérieur. Elle est faite de tout ça, ton énergie vitale, elle n’est rien de plus que ça.

Dans ton monde à toi, la consommation est rapide et excessive, à la limite du frénético-compulsif, il en faut beaucoup pour te rassasier, jusqu’à épuisement des stocks, jusqu’au bout du bout, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien à racler, tu veux tout, tu grattes encore, tu creuses plus loin pour être sûre d’avoir atteint la moelle, d’avoir touché la quintessence, de ne rien avoir manqué. Et même après ça il t’en faut encore, tu tapes du pied, tu te plains, tu en redemandes, j’en veux encore, encore, encore, puis tu te résignes et t’empresses de trouver une nouvelle chimère à poursuivre, un nouvel os à ronger, une nouvelle cible à atteindre, vite, vite, surtout ne pas rester immobile, surtout ne pas rester frustrée, surtout ne pas faire de place à l’angoisse qui pourrait s’engouffrer.

Dans ton monde à toi, où il n’y a de place pour personne, tu en as pourtant laissé entrer quelques-uns et tu vis tous les jours avec la peur au ventre que ce que tu es les fasse fuir, qu’ils s’en aillent, fatigués de ne pas comprendre, usés par tes mouvements incessants qui leur donnent parfois la nausée, impuissants face à tes frasques qu’ils ne savent ni décoder ni endiguer, incertains du rôle qu’ils ont à jouer et de la place qu’ils ont à prendre, étouffés par la quantité d’amour qu’il y a en toi pour eux, démunis par ton apparente fragilité, lassés.

Dans ton monde à toi, les flux circulent vite et dans tous les sens, alors tu vacilles parfois, la tête te tourne un peu, tes jambes en trembleraient presque et tu vis toujours en plein courant d’air. Tu suffoques, tu t’épuises, tu t’énerves d’avoir construit pareil univers et de continuer à y évoluer. Le problème majeur étant qu’à part précisément à cet endroit là, il n’y a nulle part au monde où ton vrai toi est en mesure d’exister.

© Isa – septembre 2014

mercredi 17 septembre 2014

Il faut que tu viennes, maintenant

Viens là, toi. Viens me dire en face toutes ces choses que tu m’écris. Viens me les murmurer à l’oreille, me le montrer avec tes yeux, me les faire de tes mains. Viens accompagner tes paroles des mouvements qu’elles décrivent, viens ajouter des sensations tactiles à nos promesses d’autre chose, viens balayer le fantasmé pour le remplacer par du vécu.

Viens, qu’on ait des choses à raconter de nous, de vraies choses que les autres pourront comprendre aussi, pour l’instant ils sont là à ne pas miser un centime sur ce qui est né dans un univers parallèle déconnecté de toute réalité tangible, pour l’instant ils s’arrogent le droit de juger, de critiquer, de défier, de rire et de miser sur l’échec, viens avec moi leur montrer qu’ils ne remporteront pas ce pari là.

Viens là, il est temps, c’est l’heure de nous fabriquer des souvenirs en plusieurs dimensions, de nous rendre mouvants dans les yeux de l’autre, de nous marquer de nos odeurs et du goût de nos lèvres ; il est temps, c’est l’heure de me cacher dans tes bras, de m’y réfugier, d’en sentir la force, c’est l’heure de t’abandonner à mes mains, de t’y confronter, d’en sentir la douceur.

Viens, ça fait trop longtemps que mes yeux n’ont pas croisé les tiens, bien trop longtemps que ta peau ne s’est pas retrouvée sous mes doigts, ils brûlent de l’avoir touchée si peu, trop peu, ils brûlent de ne pas s’en être nourris davantage, de ne pas l’avoir parcourue plus qu’ils ne l’ont fait. Dis-moi d’abord que tu sens aussi le manque partout en toi, de ton bas ventre qui irradie à ta tête qui bouillonne, de tes mains qui cherchent à tes jambes qui vacillent, dis-le moi d’abord de tes mots puis viens me le montrer de ta présence et de tes actes, viens me le crier sans bruit et sans détour.

Il faut que tu viennes maintenant, ça suffit de se dire que la distance nous rend fous, ça suffit de se jurer qu’à l’autre bout il n’y a que nous, ça suffit de tenter de se rassurer par des artifices qui n’ont plus l’effet escompté, on est au-delà de ça, au-delà de l’envie timide d’en apprendre plus sur l’autre et sur soi face à l’autre, au-delà du désir fugace de se voler de frêles baisers innocents, on est au niveau d’au-dessus, on est dans le besoin physiologique de se retrouver, dans le désespoir du contact qu’on attend et qui n’arrive pas, on est dans l’urgence de mélanger les bouches et les mains et les corps et les âmes, ça brûle, ça mord, il faut que tu viennes maintenant.

Tu sais bien que je t’attends et je n’aurai pas la force de te faire croire que si tu ne me rejoins pas, tu seras remplacé. Je n’aurai pas l’audace de te mentir, le courage de te faire du mal. Tu sais bien qu’il n’y a que toi et que le vide que tu laisses ne peut être rempli par un autre que toi, je pourrais faire semblant que je n’ai qu’à claquer des doigts pour qu’il soit comblé, mais quand bien même ce serait le cas, il semblerait que le trou béant ait été creusé selon ta forme et que nul autre ne puisse s’y emboîter.

Alors viens là, toi, viens qu’on essaie de faire quelque chose de tout ça, viens qu’on cherche ensemble à savoir si un nous existe quelque part, viens qu’on tente de faire germer une belle histoire de ce qu’on a semé.

Il nous faut ça pour qu’on puisse un jour se quitter sans regret.
Ou alors peut-être… pour ne plus jamais se quitter ?

© Isa – septembre 2014

dimanche 14 septembre 2014

Garder le contrôle

Lutter pour tenir ses objectifs, maintenir sa motivation au top niveau. Lutter pour ne pas céder à la fatigue, à la démotivation, à l'usure, aux contraintes logistiques et aux obstacles sur la route, lutter pour ne jamais faillir, rester concentré sur le but à atteindre, ne pas perdre de vue les promesses faites aux autres et surtout celles faites à soi-même, se battre contre ses démons, contre ses propres faiblesses, contre toutes ses imperfections, ne jamais abandonner, ne jamais baisser les bras... Garder le contrôle du rythme de vie qu'on a voulu s'imposer.

Être dans la maîtrise de ce qu'on renvoie de nous, clairement définir ce qu'on a envie de montrer et tout faire pour ne jamais déborder de ce cadre, chercher à comprendre quand ça rate, et à corriger surtout, à analyser d'abord puis à corriger vite, rattraper ceux qui s'éloignent de ce qu'on voudrait qu'ils voient de nous, les convaincre de penser autrement, de se rallier à notre cause, de ne pas se fier aux rumeurs et aux qu’en-dira-t-on, de nous laisser leur prouver qu'on est tellement plus et même tellement mieux que ce que les gens en pensent et en disent... Garder le contrôle de notre image.

S'attarder à construire des relations fortes et pleines de sens et jolies, sans aucune ambiguïté et sans aucun doute quant à l'affection qui circule dans le binôme, relever le niveau d'exigence qu'on a vis-à-vis de l'autre, vis-à-vis de soi par rapport à cet autre aussi, définir à deux ce qu'on a envie de vivre et s'y tenir, se donner les moyens d'y arriver, ne pas en faire trop, ne pas en faire trop peu, ne pas mentir ni se voiler la face, canaliser ses sentiments... Garder le contrôle de notre façon d'exprimer ce qu'on ressent.

Tu vois c'est pas bien compliqué la vie, ça tient à pas grand chose, ça tient juste à être dans le combat constant contre le moindre débordement, ça tient juste à ne pas se laisser envahir par ce qui peut polluer, à se rendre hermétique à tout ce qui peut être parasite, ça tient juste à se couvrir d'une carapace étanche aux conneries et aux excentricités. Ça tient un peu à se rendre carrément inhumain tu sais, à se rendre insensible et imperméable, à s'empêcher de craquer, ou même d'être juste un peu fêlé, ça tient à s'interdire de se laisser aller, ça tient à faire attention à chaque minute, à chaque seconde même, à ne pas dévier de la ligne tracée bien droite, ça tient à ne jamais faire la moindre erreur de jugement ou d'appréciation, ça tient à ne pas faire de mauvais choix par lâcheté ou par lassitude, ça tient à ne jamais s'offrir le moindre moment de faiblesse, à ne jamais tomber dans la facilité, ça tient à être dans le contrôle de tout, tout le temps.

Du coup c'est marrant tiens, on dirait que ça tient à surtout ne plus être telle que tu es.

© Isa – septembre 2014

lundi 11 août 2014

Grandir avec toi

Voilà, j’y viens, j’y suis. Je me pose au milieu de ce plateau désert, éclairé par la lumière incroyable de ce matin d’août, bercé d’un silence inhabituel, j’allume l’écran, vite, j’ai presque couru pour arriver jusque là tu sais, je suis presque essoufflée même, mais il me fallait y être, là devant cette page blanche, il me fallait vite retrouver un espace d’expression qui me permette de sortir de moi tout ce qu’il peut y avoir de toi.

Un peu de rock dans les oreilles, un café qui fume à côté du clavier, et moi qui en suis à ignorer la lumière verte qui clignote pour me dire que de l’autre côté on entre en contact avec le personnage public que je suis devenue, comme nous tous d’ailleurs sur ce réseau social qui nous a faits nous rencontrer, je les ignore je n’ai pas le choix, j’aime leur présence permanente et rassurante et surprenante mais c’est de nous deux dont j’ai envie là tout de suite, c’est dans nous deux que j’ai besoin de plonger quelques instants. Il sera encore temps de les retrouver après.

Ils me connaissent pourtant, certains d’entre eux m’apprécient même, ils suivent un peu les aventures que je veux bien partager avec eux, alors même qu’ils n’ont aucune idée de la part de vrai qu’il peut y avoir à l’intérieur, ils me connaissent dans tout ce qu’il y a de social en moi, d’avouable ou d’inventable, ils me connaissent dans ce que je veux bien donner et dans ce que j’aime simuler, ils me connaissent comme on regarde de loin une forme un peu vague et floue dont on ne saura jamais vraiment délimiter les contours.

Ils sont du coup à mille lieues de deviner celle que toi tu connais, celle qui oublie cette foutue course à la popularité et à la gloire quand elle se retrouve face à toi, celle qui se contente d’être particulière à tes yeux parce que c’est tellement plus important que toutes ces chimères et ces faussetés, c’est tellement plus vrai et tangible aussi, c’est ta chaleur qui se diffuse jusqu’à moi quand on est assis autour d’une même table et qu’on fait trinquer nos verres, c’est notre amitié qui mûrit parce que malgré les quelques sursauts de stupidité on a décidé qu’on continuerait à la nourrir.

Ils ne savent pas vraiment comment je peux être dans l’intimité, quand j’ai besoin de regards bien plus que de mots, quand la lumière verte ne suffit pas et que tes yeux prennent le relais, quand la valse des compteurs qui s’affolent ne compte plus vraiment et qu’elle pourrait même s’arrêter tant l’essentiel est ailleurs, dans ta main qui se pose sur la mienne avec douceur, un contact fugace, l’échange est fébrile et inattendu, et vite tes doigts se retirent par peur d’envoyer des messages difficiles à interpréter, et vite tu détournes le regard pour ne pas que j’aie le temps d’y voir des sentiments que je ne saurais pas vraiment qualifier, et vite nous redevenons deux êtres pudiques et insouciants, vite nous redevenons deux enfants qui aiment à jouer ensemble, vite nous repoussons le moment fatidique où il nous faudra nous parler de nous comme des adultes.

Alors on en est là, à se chercher pendant nos absences, à se retrouver par tous les moyens, parfois ici et souvent là, parfois c’est toi qui viens et parfois quand j’ose c’est moi, et puis ça y est on est enfin de nouveau ensemble, alors on rit et on pleure et on se taquine et on se réconforte, surnom contre surnom, sourire contre sourire, j’aime ça tu sais quand on se cherche et qu’on se trouve, j’aime tellement ça que j’en viens parfois à te laisser pour être sûre d’avoir à un moment l’occasion de devoir lutter un peu pour te retrouver, le paradoxe est là, partir pour mieux revenir, et s’il me faut être honnête, partir aussi pour créer le manque en toi, pour que tu aies ce goût de reviens-y, pour que tu te demandes où j’en suis jusqu’à ne plus supporter de ne pas savoir, pour que tu arrives à moi curieux de tout, impatient de l’impact, désireux de contact.

Elle est jolie cette relation, elle me fait peur dans certains de ses penchants qu’on ne maîtrise pas tout à fait, mais je sens toute sa potentialité, je sens qu’elle a éclos et que bien que fragile elle va grandir encore, elle va finir par tenir debout bien droite et on oubliera alors tous les moments où elle était bancale, instable et incertaine, on oubliera qu’elle a été tremblante et hésitante, on va finir par en toucher la quintessence et par la voir se diffuser, on va finir par n’avoir que le bon et le solide et le durable, il nous faut être patients un peu, il nous faut juste le décider, ça en vaudra la peine tu verras, allez viens avec moi.

© Isa – août 2014

samedi 9 août 2014

Viens, vite...

Viens, vite, entre et assieds-toi, mets-toi juste là en face de moi, fermons vite la porte et les fenêtres et les volets, coupons-nous du monde, il ne faut plus que nous.

Viens, vite, débarrasse-toi du manteau lourd de tes peines, pose-le sur mes genoux et laisse ta main sur ma cuisse, à nous deux on pourra en supporter le poids, la force de mes jambes et l'amour dans tes doigts, à nous deux on pourra les écumer peu à peu, on aura la force qu'il faut, l'énergie circule et peut nous faire soulever des montagnes, à nous deux tu n'as plus besoin de chercher à oublier puisque je n'ai plus besoin de chercher à fuir.

Viens, vite, accroche ton regard au mien, laisse-moi remplir mes yeux de tes sourires, berçons-nous de mots et de ces mélodies dont nous partageons l'amour, le son de ta voix en réponse à la mienne, fais-toi le ping de mes pong, deviens Yin de mon Yang, tu es déjà mon double mais je te veux comme moitié, et si nous fusionnions, et si nous nous fondions, et si tu restais toi et que je restais moi mais que nous devenions nous ?

Viens, vite, nourris-moi de tes rires et de tes futilités, ne parlons de rien comme nous parlerions de tout, parlons d'hier et de demain, on mélange on s'en fout, parlons de maintenant qui n'appartient qu'à nous...

Viens, vite, il est temps d'oublier que dehors il fait sombre, laissons la nuit tomber, laissons le ciel pleurer au milieu des étoiles, tu es à la maison maintenant, à l'abri des autres et du mal qu'ils se font, tu es avec moi maintenant, avec nous, ici il ne fait nuit que quand on le décide, nous sommes les faiseurs de temps et les chasseurs de nuages, ici le monde n'est qu'à nous, ici il ne ressemble qu'à nous.

Viens, vite, quand tu n'es pas encore là les murs résonnent de ton absence, les bruits se font écho de tes silences, il me faut ta voix pour remplir le vide, il me faut me retrouver dans ton aura, me réchauffer les mains à la moiteur qui s'installe en même temps que toi, il me faut retrouver celle que je n'ose être que parce que tu la couves de ton regard.

Viens, vite, j'ai froid et j'ai le mal de toi, je ne suis que manque et faim et soupirs, je ne suis que le plus mauvais quart de moi-même, l'ombre et la mélancolie, la frustration et le côté noir de ma folie, je ne suis que vide et perdue, seule et déchue, quand tu n'es pas encore là je ne suis pas encore moi.

Viens, vite, mon amour, je me languis, je t'attends et te réclame, je veux partager ton air et ton monde et tes rêves, je veux juste toi à côté de moi, je veux juste nous deux qui grandissons ensemble.

Viens, vite... il y a ta place qui t'attend là, elle t'a attendu des heures, elle t'attendra des mois, mais viens, vite, c'est ici et aujourd'hui que je ne peux plus vivre sans toi.

© Isa – août 2014

dimanche 3 août 2014

De l'autre côté

Je sais que tu as peur. Je te devine tremblant et presque frigorifié. Je t'imagine hésitant, comme un peu égaré.

Je voudrais tant pouvoir te rassurer. Te promettre que tout va bien se passer. Te donner une vision claire de ce qui t'attend au bout du chemin, et de tous les obstacles à surmonter pour espérer un jour y arriver. Je voudrais te prévenir de chacun des dangers, te prédire que tous tes rêves vont devenir réalité, que tous tes sacrifices en vaudront la peine. Je voudrais te prendre la main pour t'aider à traverser, la serrer fort dans la mienne quand tu auras envie de tout lâcher, la poser sur mon cœur pour que tu saches que le tien n'est pas le seul à s'emballer. Je voudrais mettre un peu de ma voix dans tes oreilles, pour t'encourager avec fermeté parfois, pour te murmurer ma tendresse souvent. Je voudrais coudre des ailes à la peau de ton dos, te regarder t'envoler, inspirer fort pour t'aider à te rapprocher. Je voudrais te coller un sourire aux lèvres, l'un de ceux qu'on ne peut pas retenir, dont on ne peut contrôler l'intensité, l'un de ceux qui affichent sans pudeur le courage et l'énergie qu'on s'apprête à déployer.

Je voudrais, tu vois.
Mais je ne le ferai pas.

Il est des moments où c'est à toi seul de prendre tes décisions, de trouver la force de les vivre et de les assumer. Il est des choix qui n'appartiennent qu'à toi, que tu ne peux faire que seul, dans lesquels je n'ai pas le droit d'interférer.

D'ailleurs, comment pourrais-je ?
Alors que moi-même je suis de l'autre côté de cette route que tu vas peut-être emprunter ? Alors que j'ai moi aussi à me demander si je vais, si je veux, si je dois, te retrouver au milieu de cette longue ligne qui nous sépare encore ? Alors que je dois gérer mes propres craintes, le trouble qui m'envahit, le mélange subtil entre attrait de l'inconnu et peur du vide à l'arrivée ? Alors que mes jambes ne me portent plus, que mes ailes à moi peinent à sortir de mon corps, que mon ventre me brûle d'un désir irraisonné ?
Comment pourrais-je te porter sans peur de te faire tomber alors que je ne maîtrise plus la moiteur de mes mains, alors que mes doigts tremblent, alors que mes bras se font guimauves ?
Et au nom de quelle mystérieuse et hypothétique conjoncture céleste à la faveur de laquelle notre histoire connaîtrait un dénouement heureux, aurais-je le droit de te supplier d'y croire, de te promettre l'incertain, de te jurer que chacune des chutes comme chacun des pièges sera un jour balayée par la force de nos deux êtres enfin réunis ?
D'où me viendrait cette certitude inébranlable, si ce n'est d'un rêve encore flou que nos deux énergies sont faites pour être mélangées, si ce n'est d'un désir encore trouble de continuer le reste du chemin à tes côtés ?

L'amour commence toujours par la peur de le laisser arriver. Toujours par une paralysie qu'on aura choisi de surmonter. Toujours par un doute que chacun des deux protagonistes aura décidé d'ignorer.

Je suis de l'autre côté, tu sais.
Je suis là à ne pas savoir si au bout, tu t'apprêtes à te mettre en marche pour me retrouver ou si tu es déjà en train de reculer.

Moi, j'ai déjà commencé à avancer.

© Isa – août 2014

samedi 12 juillet 2014

L'arrivée

(Épisode précédent ici)

*
**

Elle était arrivée à Paris au début du mois d'août. Trois mois après l'électrochoc qui l'avait poussée à quitter la province calme et brumeuse où elle ne respirait plus, elle s'enivrait désormais des vapeurs de pollution, des klaxons incessants et du soleil de plomb, lourd, omniprésent. L'été était là, il s'était installé alors qu'on ne l'attendait plus, et avait balayé d'un coup de ciel bleu toutes les médisances de ceux qui le pensaient boudeur.

En posant ses valises dans le petit appartement qu'une lointaine connaissance lui sous-louait pour quelques mois, Marie s'autorisa enfin à regarder en arrière et à revenir sur ce dimanche pluvieux qui avait vu sa vie changer. Elle se souvint alors de la vitesse à laquelle elle avait rejoint le cocon familial, de sa course effrénée dans les escaliers pour atteindre la salle de bains, de son visage qu'elle avait lavé à grande eau comme pour s'assurer qu'elle était bien éveillée et de son reflet dans le miroir qui lui était apparu comme l'ultime confirmation que sa décision était la bonne. Elle se souvint aussi être redescendue au salon bien plus calme, envahie d'une sérénité qu'elle ne connaissait pas vraiment, forte d'une détermination nouvelle et salvatrice. Elle avait alors aidé sa mère en cuisine, discuté politique avec son père, survolé d'un œil connaisseur les devoirs de son petit frère, et avait pris soin de mettre dans chacun de ses gestes la même application qu'à l'accoutumée, s'empêchant toute démonstration d'une quelconque nervosité, attendant le moment propice où il lui faudrait parler. L'occasion lui a été donnée lors du dîner pendant lequel, pleine d'une certitude qui prenait le pas sur la peur, elle leur avait annoncé à tous les trois qu'elle voulait s'en aller.

Les semaines qui ont suivi ont été rythmées par les quelques démarches incontournables pour tout nouveau départ. Rédiger une lettre de démission et mettre de l'ordre dans les dossiers qu'elle laissait à son successeur. Partir en quête d'un toit où s'abriter et mettre de l'ordre dans la chambre d'enfant qu'elle avait toujours connue. Préparer son entourage à son absence et mettre de l'ordre dans les relations qu'elle entretenait avec ceux qu'elle quittait. Faire ses valises et mettre de l'ordre dans tout ce qu'elle avait accumulé jusqu'à lors. Prendre des rendez-vous ici et là, à la banque, au garage, avec les parents des enfants à qui elle donnait régulièrement des cours particuliers, mettre de l'ordre dans chaque recoin d'une vie qu'elle s'apprêtait à bouleverser. Sans vraiment qu'elle en ait conscience, tout cela lui avait permis de vivre son départ comme un réel projet, construit et pensé, bien plus que comme une fuite en avant, désordonnée, impulsive et lâche. Elle avait pris le temps de faire les choses comme il fallait qu'elles soient faites, sans précipitation, avec une énergie qu'on ne lui connaissait pas, et chacune des étapes franchies avait rassuré son entourage, amis, famille, qui, bien que surpris par la soudaineté de sa décision, avaient alors compris que la démonstration de force qu'elle déroulait sous leurs yeux était une preuve irréfutable de son besoin de partir pour de bon.

Puis le jour J était arrivé. Elle était montée dans sa voiture sans regard en arrière et s'était même surprise de ne pas pleurer. Même le tremblement de ses mains sur le volant trahissait l'excitation bien plus que la nervosité. Et en démarrant le moteur elle avait senti au bout de la clé de contact l'allégorie du démarrage d'une nouvelle vie, partir pour recommencer à zéro, partir comme en quête d'un nouveau sens à donner.

La destination n'avait fait l'objet d'aucune réflexion, Paris s'était imposée en une fraction de seconde. La capitale qui bouillonne, qui bouge, qui vit la nuit autant que le jour, l'art, les rues pavées, la foule et l'anonymat confortable qu'elle offrait, c'était là et nulle part ailleurs que Marie voulait renaître. C'était là et nulle part ailleurs qu'elle voulait se réinventer.

Et là, maintenant, alors qu'elle venait d'entrer dans cet appartement où elle apprendrait à vivre seule pour la toute première fois, de nouveau la tête lui tournait. Mais cette fois, plus de peur, plus de craintes, et pas la moindre appréhension à affronter l'étourdissement devenu familier. Elle savait que cette fois il naissait d'un sentiment incomparable de liberté, de la faim de découvrir, de la soif d'apprendre, de la nécessité de se découvrir, du besoin de s'apprendre.

Son premier réflexe, avant même de faire le tour des quelques mètres carrés qui serviraient de théâtre à son nouveau départ, fut de se diriger d'un pas décidé vers la salle d'eau où elle espérait trouver un miroir dans lequel elle croiserait son reflet. Trois mois après la dernière fois où elle s'était regardée avec autant d'intensité, ce qu'elle y vit l'emmena à un niveau supérieur de réjouissance. Bien sûr, c'était encore elle, ses cheveux en cascade, ses yeux fatigués par le réveil matinal et le voyage, ses joues rougies par l'émotion. Bien sûr, elle se retrouvait dans les plis de son front, dans le grain de beauté dans son cou, dans les quelques tâches de rousseur sur son nez. 

Mais il y avait aussi, collé sur sa bouche et ricochant partout sur son visage, un sourire qu'elle n'avait encore jamais vu, de ces sourires qui s'étendent d'une oreille à l'autre, généreux, naturels, spontanés. De ces sourires qui hurlent le bonheur et l'affichent sans pudeur, sans réserve, sans mesure.

Elle ne se reconnaissait pas dans la forme bien étrange qu'il donnait à son visage, mais elle trouva cela si joli, si seyant, si normal et si puissant qu'elle se promit à cet instant de tout faire pour le reproduire aussi souvent que possible.

Se faire cette promesse silencieuse la poussa à un nouveau constat, violent, puissant : ce sourire méritait mieux que le reste du corps qui l'entourait, mieux que les vêtements fades qui venaient ternir son éclat, mieux que le teint blafard qui l'empêchait de rayonner pleinement, mieux que la lourde chevelure qui tombait tout autour en cherchant à le dissimuler. Il y avait tout à refaire pour réellement le sublimer.

Sans prendre le temps de s'installer, de regarder autour d'elle, de se reposer des heures épuisantes passées sur les routes qui l'avaient conduites ici, elle attrapa son sac et ses clés et sortit en trombe de l'appartement. 

Ce matin, elle avait réussi à partir. Mais il lui restait une ultime marche à grimper avant d'être tout à fait arrivée. 

Il lui fallait maintenant tout changer. Elle ne serait prête qu'une fois tout à fait transformée.

*
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© Isa – juillet 2014

dimanche 6 juillet 2014

La décision

C'était arrivé au cours d'un mois de mai qui se prenait pour novembre. Les feuilles au sol, le vent et la pluie fine en continu, les températures qui se refusaient à décoller. Le printemps n'avait pas encore réussi à se frayer un chemin pour naître d'un hiver bien décidé à jouer les prolongations, il faisait froid, il faisait sombre, il faisait triste aussi.

Elle était la seule de son entourage à apprécier ce caprice de la météo. Quand les autres s'impatientaient que pointent enfin des journées plus ensoleillées, elle se réjouissait de ce que la Nature lui offrait comme répit. Pendant quelques jours encore, elle pouvait se camoufler derrière écharpes et bonnets, pendant quelques jours encore, elle pouvait couvrir ses jambes sans que cela ne suscite étonnement et incompréhension.

Elle portait en bandoulière des complexes si envahissants qu'ils auraient pu se voir depuis la Lune et les étoiles, et les quelques mois de l'année pendant lesquels elle pouvait les recouvrir de couches et de couches de vêtements douillets lui étaient indispensables pour, en dessous, tenter d'épaissir la carapace de peau qui prendrait le relais du tissu une fois les beaux jours arrivés. Chaque année, le même rituel, les mêmes réflexes. Chaque année, quelques mois pour se faire à l'idée de devoir surmonter les suivants.

Pourtant, dans les yeux des autres, Marie était jolie. Un corps aux proportions harmonieuses, un visage fin aux allures de bijou orné de deux pierres bleu azur, de longs cheveux d'un brun profond, lourds, épais, qui descendaient jusqu'au milieu de son dos. Mais dans son miroir, elle ne voyait que la honte de n'être qu'elle-même, si inférieure à toutes ces autres qu'elle voyait défiler affichant avec grâce toute l'étendue de leur féminité, si faible face à leur assurance, si empotée face à leur élégance.

Alors Marie souffrait, se cachait, se tapissait dans chaque recoin d'ombre et attendait sans y croire qu'un jour quelque chose la sortirait de force de sa morosité.

Et puis, ce jour de mai frisquet, alors qu'elle se promenait sur la digue déserte, elle fut prise d'un étourdissement dont elle ignorait la provenance et eût soudainement besoin de s'asseoir pour apaiser les signaux déchaînés envoyés par son corps. Ce n'était pas la première fois que cela arrivait, c'était même devenu récurrent ces derniers temps, tant et si bien qu'elle avait pris la décision de faire une batterie d'examens médicaux qui n'avaient rien donné. Et aujourd'hui, là face à la mer et entourée de sa forteresse de solitude, elle sentait l'urgence vitale de prendre quelques minutes pour analyser l'émoi qui l'envahissait et, en parallèle, comprit que pour une fois elle avait en elle la force de ne pas fuir devant le chamboulement qui avait lieu à l'intérieur de chacun de ses organes. Il était temps d'affronter.

Combien de temps était-elle restée là, les jambes se balançant au-dessus de l'eau, les cheveux au vent, les yeux mouillés par le froid mordant ? Elle l'ignorait. Elle avait perdu toute notion du temps quand elle s'était enfermée dans ses pensées, quand elle s'était verrouillée au fond, tout au fond de son inconscient qu'elle s'attachait fort à rendre intelligible. 

Que s'était-il passé autour pendant ce temps-là, l'avait-on observée, sa présence étrange et immobile avait-elle été remarquée par quelque rare badaud passant au loin ? Elle ne le savait pas. Elle s'était emmurée dans elle-même, étanche et imperméable à la vie qui coulait autour d'elle, le besoin étant de se retrouver face à son intérieur plutôt qu'à ce qui existait au-delà de sa propre enveloppe corporelle.

Finalement qu'importaient le temps écoulé et les autres autour qui restaient un mystère, puisque Marie était sortie de ce moment de torpeur forte d'une décision qu'elle savait incontournable. Elle ne savait pas encore ce qui l'attendait, les réponses qu'elle obtiendrait, les personnes qu'elle rencontrerait. Elle ne savait pas encore ce qu'elle apprendrait d'elle, ce qu'elle recevrait de la vie, les obstacles qu'elle aurait à surmonter, les épreuves qu'elle aurait à endurer.

Mais il n'y avait qu'une seule chose à faire, qu'un seul pas à franchir, qu'un seul mouvement à initier. Le reste n'était que détails et fioritures, le reste n'était qu'inquiétudes à ignorer. Il serait bien temps de tous les gérer... après.

Aujourd'hui, Marie sût enfin qu'elle se devait à elle-même, bien plus qu'aux autres qui l'aimaient, d'aller renaître ailleurs.

Aujourd'hui, Marie décida de partir.


© Isa – juillet 2014

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[ La suite ici ]

samedi 21 juin 2014

Fatiguer un peu...

Y aller tous les jours, y aller comme on va au charbon, sans envie et sans passion, sans trouver de sens au-delà de la nécessité de voir tomber son dû à la fin de chaque mois. Y aller un peu à reculons, sentir que sa matière grise s'étiole peu à peu dans la répétitivité de certains gestes, de certains mots, en perdre sa capacité à réfléchir, à prendre des initiatives, à bousculer les habitudes. Y aller comme on va à la mine, sauf que c'est bien moins salissant et beaucoup moins fatigant, sauf que c'est bien moins glorieux aussi, avoir la pleine conscience que beaucoup d'autres font bien pire et pour gagner bien moins, se sentir coupable de se plaindre, s'interdire de le crier sur tous les toits pour ne pas paraître ingrat de la "chance-qu'on-a-d'avoir-un-boulot-sûr-quand-même", s'interdire de dire qu'on est en train d'y laisser sa peau, son énergie, son envie de faire mieux et plus. Et quand enfin le salaire tombe avoir l'impression d'avoir fait une redoutable tractation avec le diable, je t'ai vendu mon âme en échange de ces quelques billets, je t'ai vendu mon temps et j'y perds chaque mois quelques plumes, je t'ai vendu ma présence et je ne m'y retrouve plus.
Fatiguer un peu.

Alors parfois se sentir pousser des ailes, elles sortent du dos arrachées par l'envie d'autre chose, elles transpercent la peau pour s'extraire du dedans, le mouvement est aussi douloureux que salvateur, parce qu'enfin la motivation, enfin des idées pour sortir de là, enfin un regain de confiance qui fait croire que tout va aller mieux. Préparer l'avenir, le voir autrement, glaner des informations, nouer des contacts, activer des réseaux, coucher des projets noir sur blanc sur le papier pour qu'ils deviennent tangibles, qu'ils prennent de la place, qu'ils deviennent une simili réalité, un objectif à atteindre, avoir enfin un but. Mais se heurter à tant de contraintes, les bâtons dans les roues, les obstacles sur la route, tout ça prend la forme d'un manque de temps pour y travailler, d'un manque d'énergie à y consacrer, d'un manque de soutien qui permettrait l'envol, le vrai.
Et fatiguer un peu.

Et puis de l'autre côté du prisme de la vie, chercher l'amour et l'amitié, chercher du réconfort dans les relations établies mais aussi dans celles qui démarrent, toutes prometteuses de jolis moments qui font oublier les bobos professionnels, chercher le contact avec l'autre, le provoquer, l'enclencher et s'en délecter à pleine bouche quand il est enfin là. Bouffer chaque seconde de chaque minute en leur compagnie, les dévorer des yeux et les serrer fort, s'entourer physiquement de leur présence et de leurs voix et de leurs regards, croquer leurs sourires rassurants, s'abreuver de leurs mots et s'enivrer. Mais là encore, n'avoir que trop d'attentes, en vouloir toujours plus, se faire succube à leurs dépens, se faire vampire suçant tout leur sang, en faire beaucoup trop, en demander encore et encore, les voir se braquer et ne plus rien donner. S'apercevoir qu'en réalité le coupable n'est jamais l'autre qui s'éloigne mais soi-même qui, à trop tenter de se les accaparer, les contraint à s'enfuir à toutes jambes avant d'avoir été complètement phagocytés. Se prendre la tête entre les mains, sentir les larmes couler en flot continu et silencieux, d'abord une fois de temps en temps puis de plus en plus souvent, attention on dirait que ça va devenir quotidien, le sentiment de solitude et d'incompréhension est partout autour, il n'en faut guère plus pour que les vannes s'ouvrent, lancer des bouteilles à la mer en public et elles ne sont que rarement repêchées, et quand bien même quand c'est enfin le cas, refuser la main tendue par cet autre qui voudrait aider, c'est bien trop dangereux de le laisser entrer, on va finir par attendre de lui comme on a attendu des autres avant lui, on va finir par être déçu encore, il vaut mieux systématiquement le rejeter.
Fatiguer... un peu.

Malgré tout oser parfois afficher le mal-être, oser parfois demander de l'aide, donnez-moi du temps et une épaule et peut-être quelques cachets putain, donnez-moi quelque chose à me mettre sous la dent pour patienter avant d'en arriver là où j'ai besoin d'être, dans une clairière ensoleillée où les oiseaux chantent et où le ciel est bleu, donnez-moi des ersatz d'amitié puisque la vraie m'est refusée, donnez-moi du bluff et je saurai m'en contenter, je te promets je m'en contenterai, je ne te demanderai pas plus parce que je sais que tu n'en as pas envie, donnez-moi quelques minutes d'attention au cours des 24 heures que durent vos journées, je prends tout, je prends les miettes, je prends le faux, je prends le toc et le skaï tu sais. Finalement se contenter de peu, des "comment vas-tu ?" à l'intérieur desquels se cachent des "surtout réponds-moi que tout va bien, je n'aime pas les lamentations", des rendez-vous où l'on trinque à une complicité toute relative et éphémère, de ces messages que l'on reçoit et via lesquels on sent bien que l'autre prétexte chercher à avoir des nouvelles de toi alors qu'en fait il a encore et toujours besoin de parler de lui. Le voir arriver avec ses gros sabots, celui qui aime te faire croire que ton ressenti l'intéresse mais qui inévitablement finira par faire dévier l'échange sur ce qui est tracassant dans sa réalité à lui, voir arriver ça toutes les deux heures au moins, mais prendre quand même et s'intéresser et questionner et aiguiller et conseiller, parce que n'exister que dans ce qu'on peut apporter à l'autre pour qu'il se sente mieux, eh bien, quelque part, c'est déjà exister.
Mais fatiguer un peu.

© Isa – juin 2014

vendredi 13 juin 2014

Choisir d'aimer

Avoir mal de son absence, si pesante depuis maintenant deux longues et douloureuses années, si présente dans ton corps amputé de ses regards et de ses sourires, si violente tant vous étiez proches et fusionnels...
Avoir mal de vos disputes, des reproches que vous vous êtes trop souvent faits, de ne pas lui avoir assez dit que tu l'aimais, des incompréhensions ponctuées d'amour et de l'amour ponctué d'incompréhensions, de ces quelques différences qui auront eu à jamais raison de votre complicité...
Avoir la nostalgie de vos fous rires, de vos balades et de vos chansons, de ces gens qui vous prenaient si souvent pour des jumeaux tant votre ressemblance est troublante, de ces galères communes que vous avez surmontées ensemble, de ces décisions que vous n'avez pu assumer que parce que vous les aviez prises ensemble...
Avoir mal et pourtant... choisir d'aimer.

Avoir mal des erreurs que tu as faites avec lui, des nombreux essais de construction d'une relation intime, tous soldés par des échecs, de ces choses que tu n'as compris que trop tard, que pendant un "après" n'offrant aucune possibilité de retour en arrière...
Avoir mal de ne suivre que de loin une avancée spectaculaire, de si jolis changements qui semblent le combler, de ne pas pouvoir lui dire comme tu t'en réjouis, de ne pas pouvoir t'empêcher d'en sourire malgré tout...
Avoir la nostalgie de vos codes obsolètes, de ces mots qu'il te réservait et de ceux que tu n'offrais qu'à lui, de vos habitudes qui installaient une routine rassurante, de vos exclusivités et de vos débriefings, de sa voix dans ton oreille comme du réconfort tout en sons et en rires, de lui qui te voyait et qui te le disait.
Avoir mal et pourtant... choisir d'aimer.

Avoir mal de ne pas avoir suffisamment de souvenirs avec elle, de ne pas pouvoir te réfugier dans le confort de ses bras aussi souvent que nécessaire, de ne pas avoir la possibilité de juste "passer boire un café" pour vous soustraire ensemble à la réalité parfois encombrante...
Avoir mal de ne pas toujours trouver les mots qui pourraient la soulager, de devoir redoubler de vigilance pour que tes bras ne soient pas trop loin à chaque fois qu'elle trébuche, d'être limitée dans le champ de tes possibles tant la distance est handicapante, d'avoir peur de ne pas être à la hauteur de ses besoins...
Avoir la nostalgie de vos moments à vous, de cet instant magique où elle apparaît enfin sur le quai, de ses yeux dans les tiens pendant que vous analysez le monde et vous amusez à le refaire avec vos couleurs et vos décors, de vos verres qui trinquent, sonnant le glas des kilomètres qui vous séparent trop souvent...
Avoir mal et pourtant... choisir d'aimer.

Pour E., G., et S.
Avec et par amour.




© Isa – juin 2014

lundi 26 mai 2014

Je suis une femme

Je suis une femme.
Je suis une adulte et je travaille pour gagner ma vie. Même pour ma mère, pour laquelle je serai toujours plus ou moins une enfant, il y a bien longtemps que je ne suis plus une petite fille qu’on peut infantiliser et éduquer à coup de leçons de morale. J’ai grandi, j’ai vieilli, j’ai vécu, j’ai été forgée par la vie, sculptée par les événements qui l’ont ponctuée. J’ai acquis une conscience politique, sociale, amoureuse, la mienne, elle m’appartient, personne ne peut la remettre en question ou la dévaloriser. J’ai mué plusieurs fois, changeant de peau et de style, m’affirmant dans mes choix et dans mes idées. Je suis indépendante, autonome, capable de vivre seule si et quand je le souhaite, capable d’assumer la moindre de mes envies sans aucun consentement préalable à demander par ailleurs.

Je suis une femme.
Je suis libre de m’habiller comme bon me semble, au gré de mes humeurs et de mes intentions. Je peux passer aussi vite du tailleur-pantalon au jean-baskets que du jogging-débardeur à la robe de soirée. Je porte des mini-jupes aussi souvent que la météo le permet, mes jambes s’affichent, nues et à portée d’yeux, elles se montrent sans pudeur. Je ne suis pas certaine de lire, à l’intérieur de cette façon bien à moi d’assumer ma féminité, une quelconque invitation au viol ou au harcèlement de rue… Et pourtant je lis partout ces horreurs qui touchent de plus en plus mes voisines, mes sœurs, mes collègues. Et pourtant je suis obligée d’avoir peur, d’être vigilante quant aux soi-disant signaux que mes tenues envoient aux hommes autour, de raser les murs, de marcher en bande, de ne pas rentrer trop tard. Parce qu’on me dit que s’il m’arrivait quelque chose, ce serait un peu de ma faute, je l’aurais un peu cherché. Vouloir être sexy, jolie, séduisante, n’est plus un droit mais un appel au crime, un gyrophare clignotant pour indiquer que là, ici, sous ces fringues si courtes se trouve un corps dont il est possible d’abuser. « Go fuck yourselves les tarés », est ce que j’aurais envie de leur crier, mais je ne peux pas, je suis obligée de me résigner, ils ont tort mais je n’ai pas la force de lutter.

Je suis une femme.
Ma sexualité n’appartient qu’à moi et je suis libre de la vivre exactement comme je l’entends. J’ai le droit de multiplier mes partenaires ou de ne me réserver que pour l’un d’entre eux. Je peux choisir de conjuguer le sexe et l’amour ou de les dissocier totalement. Si j’en ai envie, je peux être complètement monogame pendant des mois et vivre ensuite plusieurs semaines de la débauche la plus totale, enchaînant les rencontres et les aventures, m’offrant à tous ceux qui éveillent mon désir. Tu trouves ça vulgaire ? Vas-y, juge, critique, regarde de travers. Elabore des théories se concluant toutes par « mais quelle salope ! ». Fais-le, je ne t’en empêche pas. Mais je te plains un peu d’avoir l’esprit si étroit, de ne pas connaître les émois auxquels toute personne devrait goûter au moins une fois au cours de son existence. Je te plains un peu de ne pas voir au-delà de la simple bestialité, de juger des actes que tu sors de leur contexte, de confondre ce que tu appelles un « manque de respect envers soi-même » avec ce que moi je nomme la « parfaite adéquation entre désirs et actions ». Je te plains un peu de ne pas te demander s’il y a de la trahison dans mes actes ou si toutes mes promesses n’en demeurent pas moins respectées et tenues. Je te plains un peu mais je ne t’en veux pas, l’ignorance peut être une fatalité, je le sais bien, un jour tu chercheras à avoir toutes les clés te permettant de te faire un avis au plus proche de ma réalité, un jour peut-être, qui sait. En attendant, puisque tu te permets d’abattre sur moi ta morale judéo-chrétienne – dont je te vois si souvent dévier, ironie du sort – je vais continuer, de mon côté, de me permettre de jouir de tout et de tous. Après tout, l’intimité est un univers qui se construit à quatre mains et, tant que j’ai le consentement de celui ou celle qui est porteur de la deuxième paire, j’emmerde un peu tous les autres autour.

Je suis une femme.
Alors certes ça veut parfois dire une sexualité débridée, ou pour le moins assumée, mais ce n’est pas que ça et c’est là que ça se corse. Tu as souvent tendance à me résumer à ce qui t’arrange de garder de moi, et pourtant je suis bien plus. Je ne suis pas qu’un corps qui s’offre. Je suis bien sûr la peau qui frissonne sous tes caresses, mais elle est aussi là pour cacher la sensibilité qui coule en-dessous, dans mes veines. Ma bouche ne sert pas qu’à t’embrasser ou à te recevoir, elle est aussi là pour exprimer mes mots. Mes mains te touchent certes, mais elles effleurent aussi les claviers ou les pages blanches des carnets pour me libérer les pensées. Le rythme de mon cœur accélère quand nous faisons l’amour, mais il battait aussi avant et il battra encore après. Ma tête tourne un peu quand tes doigts me titillent, mais le reste du temps elle est parfaitement calée entre mes deux épaules et elle réfléchit. Je ne suis pas qu’un corps qui se donne, je suis aussi de l’émotion et des envies et des projets. Je suis aussi une sensibilité, des attentes et des doutes. Je suis encore la même personne que celle à laquelle tu t’adressais avant que nous partagions ce moment furtif et bestial, alcoolisé et irréfléchi. Tu sais, celle à laquelle tu te confiais, tu te racontais, celle pour laquelle tu t’inquiétais parfois. Aujourd’hui tu ne me vois plus, mais figure-toi que je suis encore là. Et qu’évidemment j’attendais de toi, bien loin des clichés stupides de la nana réclamant l’amour toujours juste après l’amour physique, j’attendais de toi que nous continuions à être ce que nous étions avant. Deux personnes qui se parlaient. Ce sont des hommes comme toi qui empêchent les femmes d’être un peu plus souvent libérées et désinvoltes, ce sont des hommes comme toi qui leur donnent l’impression de n’avoir été qu’un bout de chair, qu’un dévidoir, qu’un réceptacle alors qu’elles commençaient tout juste à assumer d’aimer le sexe sans véritable amour. Les plus vulnérables d’entre elles ne s’y risqueront plus, juste parce tu viens de balayer d’un revers de manche tout un processus inconscient de changement de mentalité, certainement débuté il y a plusieurs années. Il leur faudra tout recommencer. Heureusement qu’en ce qui me concerne, la carapace est bien trop épaisse pour que tu sois capable de la fissurer.

Je suis une femme et vous dites souvent que c’est compliqué à comprendre, bordélique dans la tête autant que dans le sac à main, impossible à suivre.
Je suis une femme et c’est tellement basique pourtant, tellement simple.
Je suis une femme qui essaie d’être fière de qui elle est, et parfois, d’un mot ou d’un regard et sans en avoir le droit, vous m’en empêchez.
Je suis une femme qui va continuer à avancer selon ses convictions, ses valeurs, sur la route qu’elle seule peut tracer. Espérant fort que quand elle arrivera tout au bout et qu’elle regardera en arrière, elle n’ait pas trop à rougir de tout ce qu’elle n’aura pas osé faire pour ne pas trop vous déplaire.

© Isa – mai 2014

dimanche 18 mai 2014

La vie d'artiste

T'es là, tu fais des trucs, ce dont tu as envie, tu vis à fond, tu ne te poses pas vraiment de question, à quoi ça sert les questions hein, on verra plus tard, on verra demain, on verra dans une prochaine vie. Et puis de toute façon t'as pas vraiment le temps de t'arrêter pour y penser, les secondes s'emballent, les minutes défilent, les aiguilles tournent de plus en plus vite et tu n'as pas d'autre choix que de croquer chaque instant à pleines dents, c'est ça ou risquer de le laisser filer à jamais. Avant, il y a une vie ou deux, tu te censurais souvent, tu ne profitais que peu, et tu as accumulé tellement de regrets depuis, tellement de "si j'avais osé", que tu ne veux plus jamais sentir le goût amer de ces moments qui passent sans que tu aies su les vivre pleinement. Si tu les avais dévorés, tu en aurais plutôt senti toute la saveur sucrée...

Donc maintenant, c'est advienne que pourra, on fonce et surtout on évite de réfléchir avant et encore moins pendant. Les amis, le vin, la fête, tout y passe et en multiplié, en beaucoup, en trop. Tu enchaînes les rencontres et les coups de cœur - "oh la la mais qu'est-ce qu'il/elle est sympa !" - tu discutes, tu souris, tu ris, tu partages, tu rends ta peau complètement perméable à tous les petits plaisirs des échanges, tu frissonnes et c'est bon. Les amis, le vin, la fête, les nuits blanches de ne pas dormir mais rouges d'être aussi vivante. Les excès et la démesure, la musique qui met le corps en mouvement malgré lui, descendre des escaliers sur des talons de 12 que tu ne maîtrises jamais aussi bien que quand tu es alcoolisée, te regarder dans le miroir et voir tes yeux pétiller, tes joues rosir, tes lèvres sourire. Ton cerveau bout mais tu n'écoutes pas, il n'y a que ton corps qui compte.

Et puis à un moment tout s'arrête. Tout le monde est parti, les bouteilles sont vides, la musique s'est tue. Tu n'as pas vu arriver la fin, tu es un peu sonnée, étourdie. Pourtant quand tu regardes autour, plus rien ne bouge, tout est calme, silencieux, presque ralenti. Mais ta tête va vite, tes pensées fusent, tu t'étonnes même que ce soit possible malgré l'absence de sommeil, malgré les relents d'alcool, ça va à 2000 à l'heure là-dedans et là tout de suite il faudrait figer un peu, calmer le jeu, prendre le temps de décoder les messages, et la caféine a toujours été la solution pour ça, tu commandes un crème, tu allumes une cigarette, la cent douzième depuis que tu t'es réveillée il y a bien plus de 24 heures, il est temps d'analyser.

Le constat est mitigé, hétérogène, multiple.

Il y a ton corps fatigué, épuisé, vidé. Il y a les premières courbatures dans les mollets et les cuisses, les pieds endoloris par les escarpins et la danse et ces foutus escaliers, les bleus un peu partout, nés de ta maladresse légendaire et démultipliée quand tu es sous l'emprise de l'alcool. Il y a ton dos en compote, les cernes sous tes yeux, ta gorge douloureuse d'avoir trop fumé, ce début de barre horizontale sous ton front, ta peau qui frissonne de ne plus avoir chaud.

Il y a ta vie sociale enrichie, forte de ces nouvelles rencontres, des quelques débats qui ont animé la nuit, agrémentée des sourires des uns et des autres, de leurs mots et de leurs regards, de votre complicité naissante, des verres qui s'entrechoquent quand vous trinquez à la vie, à l'amour, à l'amitié. Il y a la satisfaction d'avoir croqué tout ce que tu pouvais, la vie, l'amour, l'amitié. Tu as mordu dedans, tu en avais plein la bouche et les mains et les yeux, tu t'en es remplie jusqu'à plus soif, il n'y a plus une once de frustration en toi.

Et il y a les questions en rafale. Ai-je besoin de tout cela ? Saurais-je m'en passer si je le décidais ? N'en fais-je pas trop ? Est-ce encore de mon âge ? A cette dernière interrogation tu vois bien que ton corps te crie que non, que tu n'es plus en mesure de suivre ce rythme effréné, qu'il va te falloir des jours pour t'en remettre, que tu es lessivée et un peu vieille aussi, un peu sur le tard dans cet univers de débauche nocturne qui ne prend fin qu'au petit jour, que c'est fini tout ça, que ça doit s'arrêter, que tu t'inventes des capacités que tu n'as plus et que tu t'imagines que tu as raison de le faire pour ne pas perdre une miette.

Et est-ce que c'est ça, la vie ? Est-ce que c'est ça, le vrai et l'important ? Non, bien sûr que non, l'important c'est rentrer chez toi Isa, c'est ne pas trouver les clés au fond de ton sac à main et frapper à la porte en fredonnant "Knockin' on heaven's door" parce que bien sûr qu'il est là le paradis, derrière cette porte-là, dans les yeux de celui-ci qui t'attend derrière, ses yeux bleus immenses qui vont te couver de tellement d'amour que tu vas en vaciller, c'est ça le paradis, c'est le voir t'ouvrir et te sourire et te réfugier dans l'abri intemporel que t'offrent ses bras et sentir s'échapper de la cuisine les odeurs délicieuses de tout ce qu'il a préparé pour toi, c'est ça le paradis, c'est vous deux sur le canapé à vous raconter cette nuit loin de l'autre et à vous murmurer tout le bonheur que vous avez à enfin vous retrouver.

Et toi qui as toujours rêvé d'emplir ta vie de grands et beaux moments, vois donc comme celui-là te comble, vois donc comme il est d'une perfection ultime, inégalable, inébranlable. Rends-toi compte de la chance que tu as de retrouver ton nid, tes draps et ses bras. Le bonheur n'est pas au fond d'une bouteille de vin partagée entre inconnus ou presque, le bonheur n'est pas dans un bistrot parisien où tu vas si souvent que là-bas on ne connaît plus que toi, le bonheur n'est pas d'arpenter les rues à la recherche de sensations nouvelles et grisantes. Le bonheur, c'est te réveiller un dimanche matin, tourner la tête, voir qu'il est là.

Alors tu n'as plus qu'à espérer fort qu'il sera toujours là.

© Isa – mai 2014

lundi 12 mai 2014

Il n'y a que toi

Tu entres dans le bar et plus rien ne bouge autour. Musique en sourdine, voix qui se font murmures, silence. Couleurs qui fondent, serveurs qui disparaissent, néant. Au milieu de ce vide il n’y a désormais plus que toi, tu prends toute la place, tu sembles te mouvoir au rythme d’un air de catwalk, tu n’es que grâce, tu n’es qu’élégance, tu es félin, je ne respire plus. Tu sembles avoir attiré sur toi toutes les attentions, tu es là et ça se sait, tu es là et ça se sent, tu es là et ça se voit, tu es là et je m’écroule.

Je fais comme si, je te souris, je t’embrasse, je t’accueille comme on salue un vieil ami, je contrôle le rouge de mes joues du mieux que je peux, je me rafraîchis d’une gorgée de vin commandé en t’attendant pour masquer mon impatience, puis je cache rapidement mes mains sous la table pour ne pas que tu en devines le tremblement.

Mes yeux balayent la salle dans un mouvement discret, je cherche des repères, des visages amis, un coin où me réfugier si ça devient trop difficile, une issue de secours. Mais je ne trouve rien. Il n’y a rien d’autre que ton sourire qui semble accroché à tes lèvres, ineffaçable, inépuisable, il est tellement intense qu’il se voit jusque dans tes yeux, et ce regard, oh Dieu ce regard… Je me sens proie, je me sens vulnérable, j’ai peur soudain, tu es partout, tu t’imposes à moi, je vibre, j’ai chaud, j’ai froid, je ne suis plus rien.

Je t’entends me parler, de tout, de rien, de toi, des autres, tu badines et je sens bien que ça pourrait être agréable de t’écouter, de te répondre, d’échanger avec toi. Je sens bien que tu fais des efforts pour me divertir, pour t’ouvrir à moi, pour me donner envie d’entrer dans cet échange, en faisant un moment de partage. Mais je suis incapable de fixer mon attention, ta voix me parvient de loin, de si loin, elle est couverte par mon cœur qui bat partout, dans ma poitrine, dans mes poignets, sur mes tempes. Je voudrais te répondre tu sais, je voudrais me raconter moi aussi, je voudrais tout faire pour ne plus paraître si timide, à la limite de coincée même, je voudrais te crier que je ne suis pas comme ça d’habitude, que je suis ouverte, que je suis sociable, que je mène souvent la danse, que j’amuse, que je divertis, que je fais mon show parfois, je voudrais que tu découvres cette femme-là, cette envie emplit tout mon corps mais ne veut pas s’exprimer hors de lui car hors de lui il n’y a que la fragilité de celle qui tombe à la vitesse de l’éclair sous le charme de l'autre et qui est paralysée par ce qu’elle ressent si tôt, si vite, déjà.

J’aimerais tant reprendre le dessus. Inverser la tendance, renverser la vapeur, me faire femme fatale te séduisant sans même chercher à le faire, t’éclabousser de ma féminité, t’entourer de mon charme, t’accrocher à mes yeux et à mes lèvres, m’enrouler autour de toi, tisser ma toile, t’y faire prisonnier, te rendre fou, te rendre mien, là, ici, maintenant.

Pour la toute première fois depuis que je suis entrée dans le jeu de la séduction, et cela fait bien des années maintenant, cela représente bien des rencontres tu sais, pour la toute première fois je me sens totalement désarmée. En attente, demandeuse, pantelante, avec tout mon pouvoir habituel en voie d’extinction, avec toutes mes certitudes et mon assurance enfouies bien loin en dessous de couches et de couches d’une timidité qui ne me ressemble pas.

Mais pourquoi ?
Que m’as-tu fait ?
Et, pire… Que vas-tu faire de moi ?

© Isa – mai 2014