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jeudi 6 août 2015

Il est déjà loin

À peine le temps de le revoir, de confirmer que le coup de coeur est là, réel, tangible, qu'il est déjà loin.

À peine le temps de partager avec lui cette parenthèse inattendue, cette entorse au rythme effréné des journées routinières, qu'il est déjà loin.

À peine le temps de contenir son désir, puis de le mettre en mots, puis de le voir exploser au creux de son bas-ventre à mesure que leurs lèvres s'étreignent, qu'il est déjà loin.

À peine le temps de s'ouvrir à lui, de se raconter, de se justifier un peu, de s'expliquer là où il lui laissait l'opportunité de rester silencieuse, qu'il est déjà loin.

À peine le temps de recevoir quelques compliments,  de ceux qui empourprent les joues, de ceux qui font briller les yeux, de ceux qui font de l'émotion exprimée sur son visage un maquillage aussi éphémère que naturel, qu'il est déjà loin.

À peine le temps d'évoquer un avenir prochain fait de plaisir et de tendresse et de plaisir encore, qu'il est déjà loin.

À peine le temps d'entremêler leurs doigts, aveu silencieux qu'ils se veulent l'un l'autre au-delà du dicible, qu'il est déjà loin.

À peine le temps d'offrir aux touristes de passage la vision réelle du Paris des cartes postales, l'amour au coin des rues, le soleil comme une bénédiction donnée à ces baisers volés, qu'il est déjà loin.

À peine le temps de lui dire comme il est beau, comme elle a envie qu'il ait envie d'elle autant qu'elle aime avoir envie de lui, qu'il est déjà loin.

Reviens.

© Isa – août 2015 

dimanche 2 août 2015

Le premier instant

Dieu qu'il haïssait ces journées où le tourbillon de la vie l'épargnait. Un peu hyperactif, toujours nerveux, les multiples activités qui rythmaient habituellement son quotidien l'empêchaient de se retrouver dans la position inconfortable de n'avoir rien à faire. Aujourd'hui, il se serait même contenté d'endosser son costume de contemplateur, une toile, une sculpture, une église, n'importe quoi aurait pu faire l'affaire. Au lieu de cela, le contexte lui imposait de ne pas sortir de ce nouveau chez lui encore vide de toute distraction possible. Il agitait nerveusement les doigts sur le rebord de la table du jardin, espérant que ce geste maintes fois répété lui apporterait le même apaisement que lorsqu'il le réalisait sur le piano qu'il n'avait pas encore récupéré. Mais la mélodie n'avait pas la même puissance salvatrice quand elle n'était qu'imaginée... 

Il tenta alors de se rendre perméable à la magie du spectacle qui se jouait autour de lui. Ce nouveau jardin, terrain aux mille possibles qu'il avait déjà imaginés, cette nouvelle maison, coup de folie aussi inattendu que déraisonnable, le silence dans lequel ils étaient tous les deux plongés, loin du tumulte de son environnement précédent, loin de tout ce qu'il avait aimé jusqu'à maintenant. Il avait encore du mal à comprendre ce qui l'avait poussé à poser ses valises ici, lui si parisien, si angoissé par le vide, si paralysé par l'idée même de l'ennui. Mais pourtant l'impérieuse nécessité, le besoin plus fort que toutes les alarmes qui avaient retenti, la conviction plus solide que toutes les tentatives de retrouver la raison.

Et le voilà maintenant ici, avec tout cet espace, ce silence et ce vide qu'il ne savait pas encore comment remplir, avec la distance qu'il y avait désormais avec sa vie d'avant, avec tout ce temps à tuer et ces pensées qui se bousculaient et l'impression grandissante qu'inconsciemment, il s'était aménagé cette journée, comme un arrêt sur image en plein film où tout va trop vite, comme une pause dans la course débutée aussitôt qu'il avait su comment courir, comme une respiration entre deux séries de notes sur la partition que la vie lui avait imposée. Voilà que tout cela montait en lui, la prise de conscience, le constat brut, la certitude : aujourd'hui, maintenant, ici, il se devait de prendre le temps de répondre à chacune des questions qu'il rejetait sans cesse, les conditions étaient réunies, le climat idéal, l'environnement parfait, il n'y avait ni excuse ni possibilité de fuite, il n'y avait aucune urgence à traiter, aucun ami à secourir, aucune deadline à respecter, il était l'urgence, il était la personne à sauver, il était arrivé au bout du délai imparti pour vivre sans y mettre de sens, il fallait maintenant avancer autrement, sans courir mais en assurant chacun des pas, en ayant pleine conscience de la direction à prendre, en se rendant apte à ressentir chacune des émotions que la progression provoquerait, il était temps d'être dans le vrai, l'assumé, le sincère aussi, il était temps d'être lui-même, face au monde, face à son entourage, face à son miroir, n'être que lui sans les fioritures, sans les chichis, sans les artifices imposés tantôt par les conventions sociales et tantôt par l'image qu'il voulait donner, il était temps de respirer à pleins poumons, d'être libre.

Il comprenait enfin ce qui l'avait amené là, reclus, inoccupé : loin d'être désœuvré comme il l'avait d'abord pensé, il avait en fait tout un tas de combats intérieurs à mener pour trouver du sens ; loin d'être victime de cette solitude forcée, il avait en fait l'occasion rêvée d'apprendre à se connaître enfin ; loin de l'angoisse du silence qu'il avait toujours redoutée, il avait en fait la possibilité d'être à l'écoute de ce qu'il avait à se dire.

Alors, loin d'être effrayé par le vide, il avait maintenant la certitude qu'il saurait bien assez tôt comment le remplir. 

Dieu qu'il aimait ces journées où il parvenait lui-même à se faire sourire.

© Isa – août 2015