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dimanche 17 décembre 2017

Bafouille

Toujours cette même angoisse, à la reprise de la plume, fût-ce-t-elle un clavier, cette peur de ne pas trouver les mots, qu'ils s'échappent, m'échappent, qu'ils fuient sans possibilité que je ne les rattrape, qu'ils ne veuillent pas se laisser aller à m'appartenir quelques minutes.

Et pourtant la nécessité de le faire, d'y revenir parfois, pour se prouver que cela existe encore, l'envie, la capacité, la maîtrise, douter en s'y plongeant mais y plonger quand même, le besoin est impérieux, la nécessité tangible, l'urgence presque vitale.

Ne pas savoir par où commencer, quel sujet aborder, de quoi, de qui, y a-t-il en ce moment quelque chose qui mérite d'être mentionné, la moindre chose, la moindre personne, le moindre événement, et d'ailleurs ne serait-il pas plus simple de se taire, se taire c'est souffrir en silence, en solitaire, en ermite, en soi, à l'intérieur, se taire c'est ne pas imposer ses douleurs, c'est cacher au monde le tumulte du dedans, après tout lorsque ce n'est pas joli, ça ne mérite pas d'être montré.

Et pourtant parler quand même, il n'y a pas que du laid, il n'y a pas que du difficile, il y a aussi les pépites, les étincelles, les instants, les sourires, il y a aussi les idées, les rêves, les envies, les choix, il y a aussi la démarche, le mouvement, la progression, l'inertie, il y a aussi ce qu'il faut dire, écrire, hurler, expier.

Voir de ces contradictions naître quelque chose qui ressemble à quelque chose, à presque rien, mais c'est quand même là, ça a le mérite d'exister, d'avoir été créé, de nous ressembler encore, se reconnaître dans chaque mot, dans le rythme, dans la virgule dans les paragraphes dans les tournures de phrase dans les respirations dans les apnées dans la ponctuation dans son inexistence dans chaque alinéa, dans les doigts qui s'arrêtent puis recommencent à courir, dans les yeux aveuglés par la lumière blanche de la page blanche de l'écran blanc au milieu de la nuit, si noire, de la vie, si colorée quand on a encore envie de la regarder vraiment, et elle est là cette envie, presque impossible à deviner, un peu terne et vacillante mais elle est ici, il me faut la faire pousser, il me faut la faire grandir, il me faut cesser de la nier, et la vivre, la célébrer, la chérir, la nourrir, l'envie c'est quand même encore ce qui nous tient debout, et on est quand même sacrément mieux, quand on arrive encore à se tenir debout.

© Isa – décembre 2017

samedi 24 juin 2017

Renaître

Pour renaître, il faut d'abord mourir, il faut d'abord tout quitter, il faut d'abord vider, vidanger, expier, purger, il faut effacer toutes les ardoises, raser toutes les tables, il faut le néant, il faut le fond du trou, il faut le dos au mur, il faut tout abandonner, et peut-être pleurer pendant que cela arrive, peut-être souffrir, peut-être saigner, peut-être hurler, peut-être ne plus respirer, suffoquer, gémir, trembler, peut-être ne plus savoir pourquoi, peut-être douter, peut-être presque renoncer, peut-être arracher des éclats de verre d'une peau meurtrie par le passé, peut-être que pendant que cela arrive tout nous demandera d'arrêter avant qu'il ne soit trop tard, tout, le monde, la douleur dans laquelle tout cela se produit, les doutes qui assaillent, tous aussi, ceux qui ne comprennent pas, ceux qui savent, ceux qui cherchent à savoir, ceux qui jugent, ceux qui acceptent, tout et tous essaieront de faire ralentir, de retenir, de prévenir, par mépris ou par amour qu'importe, peut-être que pendant que cela arrive il faut résister à ces freins, lutter contre eux, s'affirmer, s'imposer, se faire violence, et continuer.

Pour renaître, faut-il se réinventer ou se redécouvrir ? Partir de rien et tout écrire, partir d'un souvenir de soi et tout reprendre de là ? Faut-il gommer et façonner, faut-il construire sur des bases inconnues ? Jusqu'où remonter, comment savoir où tout a commencé ? Où le mal a infusé, où on s'est perdu, où on s'est trahi, quand on a changé, pas juste évolué mais foncièrement changé, quand on a laissé tomber brutalement l'enfant qu'on était, quand on a cessé d'exister pour soi, quand on a décidé — l'a-t-on seulement décidé ? — qu'il fallait se conformer, se travestir, se mentir, mentir, faire semblant tant et si bien que l'avatar est alors devenu la seule réalité possible ? Pour renaître il a d'abord fallu faire le constat qu'on se devait d'en finir, et c'était long et agonisant, lourd et dérangeant, il a ensuite fallu décidé de tout brûler, et c'était long et agonisant, lourd et dérangeant, il faudra désormais remonter à la source du mal, au début des vicissitudes, à l'exact moment où tout a basculé, et la quête sera longue et agonisante, lourde et dérangeante, et les premières étapes ont déjà pompé tellement d'énergie, y en a-t-il encore un peu, suffisamment, peut-on encore consacrer du temps et du courage, y en a-t-il encore un peu, suffisamment, doit-on jeter toutes ses dernières forces dans la bataille, mais y en a-t-il encore un peu, suffisamment ?

Pour renaître, il faut de nouvelles bases, un sol solide et fertile et accueillant et stable, il faut de l'acceptation, savoir qu'on ne sait rien de soi, qu'on ne sait rien du monde, qu'on ne sait rien des autres, savoir qu'on est seul en soi, qu'on est seul au monde, qu'on est seul parmi les autres, il faut de la patience, prendre le temps d'éviter les écueils, les pièges, les obstacles, prendre le temps de choisir de qui s'entourer, de quoi se construire, de quel matière première se nourrir et se forger, il faut de la lucidité, savoir faire le tri, savoir à quoi renoncer, à qui renoncer, voir en face les réalités avec lesquelles il faudra toujours composer, ne pas être dans le déni, ne pas être dans la peur de la vérité, il faut de l'action, regarder, voir, affronter, braver, avancer, marcher, courir, trancher dans le vif, s'arracher, se faire mal, tomber, se relever, vaciller, résister, avancer encore, tracer des chemins, les suivre, rester concentré, avancer, courir, y aller, occuper l'espace, le remplir sans y stagner, parce que le mouvement, parce que l'inertie, parce que la nécessité de s'éloigner du point A pour rejoindre enfin le point B, parce que le point B sera le nouveau point A et qu'il faudra partir en quête du nouveau point B et avancer comme ça, toujours, sans arrêt, sans pause, sans respiration, sans retenue, y aller, avancer, au bout il y a soi, putain au bout il y a peut-être moi.

© Isa — juin 2017

mercredi 3 mai 2017

Sous la pluie

Je ne sais pas d'où venaient ces larmes.

Étaient-elles teintées de peine, de joie ? Empreintes de solitude, d'appréhension, de fierté ? Avaient-elles quelque chose à voir avec moi, avec cet autre, avec ces autres, avaient-elles quelque chose à voir avec ce qu'il se passe autour, l'angoisse de l'attente, l'incertitude de demain, le pays sur la brèche, la bascule inévitable, avaient-elles quelque chose d'intime, avaient-elles quelque chose de plus grand ?

Je n'ai pas reconnu leur goût, était-ce la peur, était-ce le doute, était-ce le manque ? Était-ce la conviction, venue d'un ailleurs inconnu, que malgré tout, tout irait bien ? Était-ce la crainte que plus rien ne serait jamais pareil, que je ne pouvais plus prédire l'année prochaine, le mois prochain, la semaine prochaine, demain ?

Je n'ai pas réussi à estimer leur impact sur ma peau, étaient-elles lourdes de chagrin, de désespoir, de mélancolie, charriaient-elles le poids d'un malheur si imprévisible il y a quelques semaines, alors qu'après tout hier encore, j'avais 20 ans ? Étaient-elles légères, infimes, transportant uniquement la sérénité, le bien-être, la douceur de la nostalgie ?

Je ne sais pas d'où venaient ces larmes, ce qu'elles voulaient me dire, ce qu'elles voulaient dire de moi, mais là, ce matin, mêlées de pluie et d'un flot continu de mille et uns sentiments tous aussi forts les uns que les autres, elles étaient la seule chose qui avait à exister, quand enfin elles sont arrivées.

© Isa – 3 mai 2017