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vendredi 14 novembre 2014

Nous.

C'est fort, c'est d'une intensité rare, c'est presque bizarre tant c'est difficile à comparer avec ce qu'on a connu avant, et puis cette sensation étrange d'être encore deux enfants enfermés dans des corps d'adultes, parce qu'on rit et qu'on vibre, parce qu'on touche l'insouciance du bout des doigts, qu'on danse sur les parvis des gares et qu'on boit à en redevenir les adolescents qu'on n'a jamais vraiment été.  Et pourtant être aussi des grandes personnes, avec leurs rêves et leurs projets et leurs peurs au quotidien, avec leur besoin d'avancer et de construire, avec leurs envies et les contraintes qui les empêchent de se réaliser. Être dans le partage de ces deux facettes, s'étonner de savoir passer ensemble de l'une à l'autre, comprendre qu'on espérait inconsciemment rencontrer quelqu'un avec qui il était possible de les laisser s'exprimer tour à tour, aimer ça. 

C'est prenant, c'est fusionnel, tu n'es pas là et je me questionne, je ne suis pas là et tu t'en inquiètes, on a du mal à se le dire parce qu'on est pudiques comme des cons, parce que c'est pas tout à fait le schéma que choisissent normalement un homme et une femme de nos âges, parce qu'on a peur que ce soit trop à recevoir pour l'autre mais surtout trop à donner pour soi, on n'a pas vraiment l'habitude de ce lien sorti de nulle part qui se révèle dans les échanges et les clins d'oeil qui vont du matin au soir, c'est troublant même, et que vont en penser les autres, et que va en dire la personne qui partage ma vie et puis comment dois-je le vivre moi ?

T'as vu, vu de dehors ça ressemble à de l'amour, ça en a les codes et les surnoms, ça en a l'impulsion et la présence continue, c'est là quoi qu'il arrive, doucement, en trame de fond, c'est là comme en veille, en attente d'un rire que j'ai envie de partager avec toi, d'une peine que tu voudrais que je t'aide à porter. C'est là dans les conseils qu'on échange, alors qu'on sait bien que l'autre a le droit de ne pas les suivre, qu'il ne va d'ailleurs sûrement pas le faire, mais qu'il a besoin d'entendre, encore, encore, il les réclame quoi qu'il décide d'en faire par la suite. 

Ça ressemble à l'amour, on en utilise le vocabulaire, on emploie des mots forts, ils sortent sans pouvoir être stoppés, ils se posent au bout de nos doigts et sur nos lèvres puis, une fois que c'est trop tard parce qu'ils ont été dits, on prend conscience d'à quel point ils sont vrais, à quel point on les ressent, et l'ampleur du truc fait peur parce que c'est loin très loin de ce qu'on a connu avant, mais est-ce que c'est grave, est-ce que c'est ça l'important ? 

On sait bien que non, l'important c'est plutôt d'entretenir, de continuer à arroser pour que ça ne meure pas, d'apprendre à assumer pour l'autre qui a besoin d'exister aux yeux des gens, pour le monde autour qui va se questionner, et surtout pour soi que tout ça a rudement bousculé. 

L'important c'est de profiter, de comprendre que c'est parce que c'est rare que c'est si joli, que ce n'est pas grave que ce soit troublant, l'essentiel est bien ailleurs, je le situe au niveau du sourire que ton visage arbore quand on se retrouve, je le mesure à mon sourire à moi, qui y répond toujours.

© Isa – novembre 2014

mardi 4 novembre 2014

Le verre est là.

Bien sûr que tu as peur. Bien sûr que c’est difficile, faire le grand saut, plonger dans l’inconnu, quitter la zone de confort. Bien sûr que tu as conscience de tous les risques que tu prendrais, celui de tomber, de mal te réceptionner, de te blesser au-delà du physiquement supportable, de ne pas savoir stopper l’hémorragie. Bien sûr que tu te dis que tout ça demande trop de courage, celui que tu n’as pas, que tu penses n’avoir jamais eu d’ailleurs, et puis le temps passe et tu te crois trop vieux pour tout ça, pour te réinventer, pour reconstruire une vie, pour poser la toute première pierre d’un tout nouveau chantier.

Et pourtant…

Si tu changeais l’angle de vue, ne verrais-tu encore que les obstacles et les risques et l’immense probabilité que tout se casse la gueule ? Si tu regardais autrement, n’y aurait-il sous tes yeux que des lendemains incertains, la douleur des uns et des autres, ceux que tu laisses et ceux pour lesquels tu décides de changer ? Si tu y mettais un prisme différent, les couleurs seraient-elles encore si sombres, encore si floues, encore si fades ?

Le verre est posé là, devant toi. La ligne séparant le liquide du vide le divise à l’exacte moitié de sa hauteur. Comment choisis-tu d’en parler ? Comment choisis-tu de le voir ? Te rends-tu compte que c’est un choix qui n’appartient qu’à toi ? Te rends-tu compte que de ta propre perception découlera toute une vision du monde qui t’entoure, du monde dans lequel tu évolues ? Et de ta place en son sein ?

Et toutes ces peurs qui te retiennent, existent-elles ailleurs que dans ton imaginaire ? Ailleurs que dans tes intestins qui dansent la gigue face à l’ampleur des choix que tu as à faire ? Ailleurs que dans tes jambes qui flanchent devant la route qu’elles ont à emprunter ? Evitent-elles le danger ?

Et si tu répondais à la peur par l’espoir ?
Et si tu répondais à l’incertitude par la confiance ?
Et si tu répondais aux ombres par la lumière ?

Et si, plutôt que d’avoir des doutes et des remords et des a priori sur ce qui t’attend, tu t’entourais de volonté, d’optimisme, de puissance ?

Tes lendemains n’appartiennent qu’à toi, aussi entouré puisses-tu être par les personnes qui te sont chères, tu mourras comme tu es né. Seul. Tu vivras comme tu t’es construit. Seul. Les autres sont parfois béquilles, parfois tuteurs, mais souvent simples compagnons de route. Ce n’est pas à eux de choisir comment tu dois pousser. Ce n’est pas à eux de décider de la direction que tu as à prendre. C’est à toi de grandir et d’avancer, motivé par l’énergie qui te secoue le ventre, encouragé par tes premières pensées au réveil le matin, apaisé par les dernières images qui défilent sous tes yeux clos le soir. C’est ce qui te tient éveillé entre les deux, ce qui te donne le courage et la force de vivre tes journées, ce qui t’aide à tenir quand tu vacilles, ce qui te fait rêver, ce qui te sert de refuge, ce dont tu as besoin en permanence, ce que tu cherches autour de toi quand tout le reste flanche, ce sur quoi tu t’appuies, ce qui te fait sourire, ce qui te fait du bien, ce qui te soulage, ce qui t’apaise, c’est tout ça qui t’indique la route que tu dois prendre. Et peu importe s’il faut pour cela te séparer de ceux qui t’accompagnaient jusque là, peu importe que tu l’empruntes seul, et peu importe ce qu’il y a au bout. Avancer en harmonie avec tout ce que tu es là maintenant, avec celui que tu es devenu au fil des années, avec l’homme qui est né de l’enfant que tu as été et de tout ce qu’il a vécu depuis, c’est déjà être en bonne compagnie. La meilleure. La seule qui compte vraiment.

N’être que toi, ne marcher que vers là où toi tu as besoin d’aller.

Bien sûr que ça fait peur… Mais ça reste le seul moyen personnel, intime, valable et cohérent d’exister. Le reste n’est que futilité, ce sont des barrières, limites, contraintes, que tu te fixes comme des œillères t’empêchant de te réaliser. Est-ce réellement comme ça que tu envisages ton avenir ? Ne te dois-tu pas, à toi-même déjà, à ceux qui t’aiment réellement aussi, de chercher à vivre plutôt que de rester à regarder le temps passer ?

Je pose le verre là, devant toi.
Dis-moi.

© Isa – novembre 2014