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dimanche 23 mars 2014

Dire ou ne pas dire

Parfois se le dire avec des mots n'est plus vraiment utile. Quand tes yeux répondent aux miens, quand mon sourire déclenche le tien, quand nos peaux sont parcourues du même frisson, la parole est superflue. Toi, moi, notre amour à la fois comme un pont jeté entre nos deux corps et comme une bulle tout autour.

Parfois se le dire avec des mots n'est plus vraiment suffisant. Quand j'ai besoin de te toucher, quand tu as envie de me sentir, quand nos mains voudraient se trouver mais n'osent pas se chercher, pas encore, pas maintenant, la parole est inefficace. Toi, moi, cette distance qui nous tue quand elle est réelle et qu'on s'impose même quand on a la chance qu'elle se soit pourtant envolée.

Parfois se le dire avec des mots est un défi de tous les instants. C'est à qui fera mieux, à qui dira plus fort, à qui trouvera la punchline qui mettra l'autre KO, à terre, à genoux, suppliant, implorant, demandant l'arrêt immédiat des hostilités parce que c'est fort, parce que c'est grand, parce que c'est trop, parce que c'est impossible à gérer.

Parfois se le dire avec des mots revient à se tester mutuellement. Quelle sera ta réponse ? Vas-tu te dérober ou au contraire aller plus loin ? Remarqueras-tu le fond de vérité caché derrière l'humour ? Arriveras-tu à voir au-delà de mes ironies, de mes tentatives de légèreté ? Es-tu en train de jouer comme tu prétends le faire ou dois-je y déceler des messages cachés ?

Et pourtant continuer à se le dire avec des mots, encore, toujours, tous les jours. Parce que ça nous rassure. Parce que tu aimes ça au moins autant que moi. Parce que j'ai besoin de ça au moins autant que toi. Parce qu'on a une trouille bleue de ce qui se cache derrière tout ce qu'on ne se dit pas. Parce qu'on ne comprend pas bien, que ça nous dépasse un peu, et qu'on ne sait extérioriser qu'avec des expressions choisies, des codes qui n'appartiennent qu'à nous, ces mots créés par nous, pour nous, pour se dire ce qui peut être dit au vu et au su de tous, au vu et au su de nous mêmes.

Un jour, peut-être... 
Un jour, peut-être que je n'aurai plus envie de parler. Plus seulement. Quand l'envie sera plus forte que la peur que ça bouleverse un peu l'équilibre si naturellement installé entre nous. Quand l'envie ira bien au-delà de nos deux voix qui se le disent ou de nos quatre mains qui se l'écrivent.

Tu sais... les lèvres et les mains peuvent servir à tellement plus que ça.

© Isa - mars 2014

Avancer ?

Le passé. Et le temps qui coule dessus comme du béton.

Tout est emprisonné sous la chape et t'as pas les moyens de payer la main d’œuvre pour tout casser. Ce serait pourtant cool hein, tout niquer pour tout reconstruire, repartir d'un Ground Zero nettoyé et immaculé et vierge pour rebâtir dès les fondations.

Mais y a pas de retour possible. T'en as passé des heures à parcourir ton corps de tes doigts pour essayer de trouver le bouton reset qui remettrait tous les compteurs à zéro. En vain. Y a pas. Et à 28 piges tu captes enfin que la vie c'est devant, ce sera toujours devant, et tout ce qui est arrivé avant est immuable. Gravé dans la roche, incrusté, éternel. Indélébile. 

Du coup l'enjeu c'est avancer comme ça, bon an mal an, avec le passé comme besace bien alourdie par les merdes accumulées au fil du temps. Avec les regrets comme casseroles bruyantes et encombrantes. Avec les remords comme poids aux poignets et chevilles. Paye ton inertie. 

D'autant plus que tu n'es pas seule dans l'équation. Bien sûr y a toi et ces boulets que tu traînes, mais y a aussi la chienne de vie qui non contente de ne pas t'avoir épargnée jusque là s'amuse à continuer à placer des ralentisseurs sur la route que tu choisis peu ou prou d'emprunter. Des dos d'âne, des virages, des carrefours dangereux, des sens interdits, des déviations, des panneaux STOP, des panneaux FONCE et au milieu de tout ça toi qui n'as plus beaucoup de points sur ton permis "être vivant". 

Toujours est-il que t'as pas beaucoup de choix, c'est avancer ou crever, te battre ou abandonner, lever le poing ou baisser les bras. La première option t'emmerde un peu, tu manques de conviction et de visibilité sur ce qui se passe au bout. Mais la deuxième te fait encore plus peur, il faut du courage pour accepter de mourir et niveau courage t'es hors-forfait depuis 10 ans déjà.

Donc entre la peste et la choléra, quand arrive l'heure des choix, tu choisis de marcher, tu sais pas bien où tu vas, tu fais comme tu peux, t'as tes bagages et ta batterie de cuisine et tous les trous dans l'asphalte mais t'y vas. Ne serait-ce que parce qu'on est pas à l'abri d'une bonne surprise au détour du chemin. T'y crois pas trop mais dans le doute, pourquoi pas.

© Isa - mars 2014

dimanche 16 mars 2014

Le début

Ça fait des années que l'envie est là. Parfois extrêmement violente à base de "faut que je m'y mette maintenant" lancinants qui te vrillent le cerveau et grillent tout le reste autour. Parfois juste en sourdine, en fond sonore pas loin, quelques "ce serait bien que..." que t'arrives à mettre de côté pour pouvoir vivre les autres trucs qui remplissent ta drôle de vie.

Ça fait des mois que ça bouge un peu. D'abord l'ouverture timide d'un espace d'expression, c'est pas le premier mais c'est vraisemblablement celui dans lequel tu t'impliques le plus. Tu y es assidue, acharnée, tu y passes beaucoup de temps. Tu t'entraînes, tu fais tes gammes, tu aiguises tes mots, tu définis le style, tu l'affines, le diamant est là quelque part au fond alors tu tailles tout autour, t'y vas cash, franco, ça passe ou ça casse tu t'en fous un peu mais pas trop, juste ce qu'il faut pour rester sensible à comment c'est perçu. 

Ça fait quelques semaines que tu penses t'être trouvée, y a quelque chose qui te plaît dans ce que tu fais, quelque chose qui te fait dire que ça y est, que ça te ressemble, que c'est toi dans chacun des billets qui sortent, ta plume à toi, pas celle que tu aimes lire chez les autres et que tu t'acharnes à copier sans grand talent, non, là c'est bien la petite meuf au fond qui se montre, elle s'est cherchée, elle s'est trouvée, maintenant elle se partage telle quelle. Brute, torturée, à prendre ou à laisser, sans compromis. Y a un lectorat derrière, une petite team encourageante, quelques fidèles qui te disent que la méthode est la bonne et qu'il n'y a plus qu'à tracer la route maintenant. Le champ des possibles est immense, à toi de choisir où tu vas puisque maintenant tu sais comment et avec quels bagages et avec quelle énergie t'es capable d'y aller.

Ça fait deux jours que l'envie s'est transformée en projet, muée par les injonctions des quelques irréductibles qui affirment que tu n'as pas d'autre choix que celui de te lancer, qu'il le faut, qu'il est temps, qu'elle est là la suite des événements, ni ailleurs ni à un autre moment, c'est ici, c'est maintenant, ça te prend et putain ça fait 48 heures que ça te lâche pas et c'est effrayant et ça fait gigoter toutes tes tripes dans tous les sens mais c'est grisant et tes neurones aussi gigotent alors on est dans la configuration optimale. La peur et l'envie. Les nerfs de la guerre, baby.

Ça fait donc maintenant quelques heures que le projet s'est transformé en plan d'actions. Tu as sorti un cahier, tu en as noirci les premières pages, tu n'as pas encore écrit la moindre ligne, le moindre mot mais déjà l'histoire a pris corps, elle est dans ta tête et elle s'affiche sous forme de tirets sur la trame que tu as griffonnée hier soir. Les personnages sont calés, tu les as créés, tu sais à quoi ils ressemblent, tu connais chacun de leurs défauts et ce qu'il te faudra gommer, tu maîtrises chacune de leurs qualités et ce qu'il te faudra sublimer. Tout est enclenché, tout est né. A toi d'arroser, de faire pousser, de guider.

On y est.

© Isa - mars 2014

jeudi 13 mars 2014

De l'importance du mouvement

Être en formation. Mobilisée par les objectifs d'un type qui pense pouvoir t'apprendre à faire ce que tu fais déjà depuis des années. Être là à l'écouter parler, à faire interagir tes camarades stagiaires, à vouloir te faire t'exprimer.
Dehors, le soleil tape et tu t'es autorisée 3 verres de vin ce midi parce que c'est le printemps et parce que tu partageais un moment hors du temps avec une personne dont tu ne te rassasies jamais. Ton autre toi. Ton double. Le reflet dans le miroir. Dans ses yeux, tu te vois autre. Belle, puissante et au coeur de ta sensibilité.
A fleur de peau mais vigilante, comme consciente du moindre frisson qui te parcourt, de la moindre idée qui te traverse l'esprit, de la moindre sensation qui t'interroge.  Mais pas seulement.  Pas uniquement dans le constat brut des émotions qui te traversent mais aussi dans la quête de sens. Où vais-je ? Que fais-je ? Que vais-je devenir ? Se peut-il que je me fourvoie quand je m'enferme là où nul ne m'aurait imaginée il y a quelques années ? Se peut-il que je me sois enfermée dans un rôle qui n'est pas fait pour moi, dans un costume qui n'est pas et ne sera jamais à ma taille ?
Se peut-il que tout ce que je pense savoir n'existe pas vraiment ?

Et à ce moment là de ta formation,  quand le monsieur debout là-bas cherche à t'apprendre tout ce que tu crois avoir déjà intégré, tu n'es que remises en question, doutes, réflexions.
Tu n'es que points d'interrogation, de suspension, parenthèses à l'intérieur desquelles se cachent tes incertitudes et toutes ces questions auxquelles tu ne peux pas apporter de réponse tranchée. Jamais.
Tout ça t'amène au moment fragile où tu seras dans la phase qui va suivre, celle pendant laquelle tu en seras à la prise de décision, à l'action, à l'avancée. L'inertie qui naît de la phase introspective, t'sais. Le mouvement. La vie... La vie, pour toi qui dis ne pas savoir rester statique, te poser, te reposer. Le pas vers l'avant, en arrière, de côté, qu'importe, mais le mouvement quoi qu'il arrive.
Dans tout ce qu'il a de rassurant. Parce qu'il bouleverse ce qui était là en faveur de ce que tu aimerais y voir à la place.
Dans tout ce qu'il a d'important. Parce que l'immobilisme t'inquiète, te révèle passive et provoque les angoisses de la personne sans contrôle et sans emprise que tu crains d'être parfois.
Dans tout ce qu'il a de constructif. Parce que c'est demain que tu seras formée, sculptée, dessinée au gré de tout ce que tu décides de faire et de dire, d'assumer et de vivre. Demain commence maintenant, pour peu que tu te mettes en mouvement.
Le mouvement. Toujours. Le garder. L'initier. Toujours.

Et pourtant...

Et pourtant tu es là Isa, tu es dans cette salle où tu n'as pas envie d'être, dans laquelle tu ne t'épanouis pas, à l'intérieur de laquelle tu ne trouves pas le sens que tu voudrais pourtant donner à la suite des événements.
Tu es là dans cette pièce Isa, là avec eux, là parmi eux, là à l'écart d'eux parce que jamais tu ne te reconnaîtras en eux si friands d'apprendre et de se remplir de théories en tous genres. Quand toi à côté tu voudrais expérimenter, essayer, vivre,  manipuler avec tes doigts, toucher.
Tu es là Isa, coincée entre cette chaise et ce gobelet de café vide posé là devant toi.
Tu es là à vouloir t'en aller si fort, à vouloir leur crier si fort à eux tous que tu n'es pas un élément de leur monde.
Tu es là à ne pas te sentir à ta place et à pourtant y rester.
Tu es là toute pleine d'une paralysie qui te donne envie de gerber sur ton manque de courage et de force et de couilles.
Tu es là à ne pas bouger, faible, lâche, obéissante, docile. Immobile.
Imbécile.
© Isa - mars 2014

mercredi 12 mars 2014

Il y a des questions dans "je t'aime"

Toujours les trois mêmes petits mots qui reviennent comme une rengaine, comme un mantra. Tu les poses et tu attends leur impact sur la personne qui les reçoit au moment de la collision avec leurs oreilles ou leurs yeux. Tu attends fébrile, curieuse, impatiente, tu guettes les signes avant-coureurs de la réaction qu'ils vont provoquer, tu mesures le temps qui s'écoule avant le retour, si tant est qu'il y en ait un.

Je t'aime.

Trois mots qui te viennent naturellement, ça a toujours été le cas. Là où d'autres rechignent à les faire sortir de leurs bouches ou de leurs doigts, par pudeur, par peur ou "parce que c'est trop fort pour être dit", toi tu les balances toujours bien avant de réfléchir aux conséquences de la déclaration. Tu as le "je t'aime" facile, il ne demande qu'à être murmuré, crié ou écrit, il te vient quand d'autres choisiraient plutôt un "je suis bien avec toi", quand certains diraient "je t'adore", quand beaucoup y accoleraient un "bien" ou un "beaucoup" utilisés comme des variateurs d'intensité, pour ne pas que ce soit "trop".

Je t'aime.

Évidemment, derrière ces mots, il y a toujours une seule et même réalité. Ça déborde, tu es bien, quelque chose doit être dit pour exprimer l'émotion que tu ne maîtrises plus, et puisque l'urgence de le dire t'empêche d'avoir recours au dictionnaire des synonymes en quête d'un mot plus juste et/ou plus modéré, tu ne prends pas la peine de chercher à le formuler autrement et tu l'extrais brut, pur, dénué d'artifices et d'adverbes et tu les énonces tels quels.

Je t'aime.

Et pourtant, derrière ces mots, ne se trouvent jamais tout à fait les mêmes sentiments. Chacun de tes "je t'aime" est une boîte que tu poses là entre toi et la personne à qui tu l'envoies, une jolie petite boîte fabriquée à quatre mains, réceptacle du contenu de votre histoire, de votre relation, des sentiments que vous éprouvez l'un pour l'autre. Là-dedans, chacun d'entre vous y dépose un bout de lui, celui qu'il a envie de donner, de partager avec l'autre. Vous décidez ensemble de ce qui se cache derrière cette déclaration tombée nette telle un couperet, après que chacun ait tenté d'expliquer à l'autre, quand il aura eu le temps et l'énergie de le développer, ce qui pour lui est associé à ces trois petits mots enfin prononcés. Chacun dessine les limites exactes de cet amour, chacun expose les promesses qui y sont liées, chacun déverse ce qu'il voudrait que ces mots impliquent. Puis vous regardez tous les deux dans la boîte comment se sont mélangés les mots de l'un et de l'autre, et ce magma bouillant sera la sève de l'avenir que vous créerez ensemble, le ciment de l'histoire que vous allez écrire à deux. 

Je t'aime.

Pourtant, parfois, la vie ne te laisse pas le temps de fabriquer la boîte dans laquelle se poseront les contours exacts de cet amour qu'on t'inspire. Cette prise de conscience là t'est venue hier à la lecture d'un texte écrit justement par l'une de ces personnes que tu aimes fort, si fort, sans avoir pris le temps d'analyser à quel point fort et pourquoi si fort et comment si fort et ce que ça implique. Elle y dit "Et puis des fois c’est fulgurant. Tellement fulgurant que tu sais plus trop où t’en es, tu sais plus trop ce que c’est, amour, amitié, fraternité ?"* et le lire t'a fait l'effet d'une claque qui a rougi ta joue et fait monter tes larmes instantanément. Parce que oui parfois, la fulgurance des sentiments t'empêche de délimiter les frontières, et tu manques cruellement de discernement quant à ce que tu attends de cette histoire, quant à ce que tu as envie de mettre dans la boîte, et tu manques aussi de sérénité face à ce trop plein auquel tu ne t'attendais pas, tu ne sais plus bien ce que tu as le droit de dire, ce qu'il faut dire, ce que l'autre en face attend de toi. Tout n'est pas carré, et rien n'est filtré. Des pierres brutes non taillées, et elles brillent fort et c'est beau mais elles ne sont pas lissées donc elles blessent. Comme d'habitude, tu as dit sans prendre le temps d'y réfléchir avant, mais là, cette fois-là, tu as conscience qu'il te faudra redoubler d'effort pour poser le cadre dans lequel cet amour va pouvoir évoluer. Parce que c'est flou, parce que c'est inattendu. Parce que c'est surprenant. Parce que tu mélanges tout. Parce qu'à un moment tu as cru à une forme d'amour et qu'à la minute d'après il y a eu un regard, il y a eu un sourire, il y a eu un geste qui t'ont tous fait douter. Et avec tout ça là, avec tout ce qui bouillonne en toi sans que tu ne parviennes à le définir, il te faudra te lancer dans la construction de la boîte, c'est nécessaire, inévitable, l'autre en face l'attend, et même si tu ne sais pas encore ce que tu vas y mettre, la première étape sera forcément de fabriquer un contenant pour pouvoir délimiter. Avec tes doutes en planches de bois, tes questions en clous et ton envie en marteau, il faut que tu t'enfermes dans ton petit atelier et que tu te mettes à la tâche. Vite. Fort. Avec rigueur et concentration. Vite, vite la boîte. C'est en elle que se poseront tes futurs "je t'aime", protégés de l'extérieur. Et l'extérieur protégé d'eux aussi... surtout.

Je t'aime.

Et bien avant que Goldman ne devienne pour les jeunes que celui dont on reprend les tubes à tout va et sans grand talent, il était surtout le premier à dire qu' "il y a une question dans "je t'aime" qui demande "m'aimes-tu, toi ?"". On en est quelque part par là.


 © Isa – mars 2014

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* Le texte, magnifique, d'où est tiré cette phrase qui tape comme un uppercut, est à retrouver dans son intégralité sur le blog de @CinnamonFraise et tu peux le retrouver

samedi 8 mars 2014

Duel - La séduction (toi)

Approcher. Séduire. Consommer. Rejeter.

Nous y voilà. L'étape pendant laquelle tu t'éclates le plus. Celle qui te demande le plus d'effort, le plus d'inventivité. Le vrai défi. Ce qui s'est passé avant n'a été que la pose des premiers jalons et ce qui arrivera après ne sera que le début d'une fin programmée. Tout se joue ici. Tout se joue maintenant. 

Tu ne sais plus bien combien d'autres il y a eu avant moi. T'as une liste quelque part, jalousement gardée à l'abri des regards indiscrets, et tu l'as tellement bien cachée que tu ne sais même pas si tu pourrais remettre la main dessus, et puis ça fait quelques temps que tu ne l'as pas mise à jour . Ces derniers mois, ta consommation a été frénétique, décuplée, et tu as manqué de temps pour la paperasse, toute l'énergie était réservée à ton jeu, à ces 4 marches que tu montes et descends dans une boucle infinie, approcher, séduire, consommer, rejeter, y a pas de place pour les formalités administratives et l'archivage, y a pas le temps. 

Aujourd'hui t'aimerais pourtant le retrouver, ce tableau de chasse, tu le cherches partout, tu vides les tiroirs et tu remues ciel et terre, tu retournes tout autour de toi, ce papier il te le faut et tu te lances à sa recherche avec l'énergie du camé qui sait qu'il a là, quelque part, l'ultime dose prometteuse d'un aller simple vers la défonce mais qui, trop excité, passera 150 fois devant sans jamais poser les yeux dessus. 

T'en as besoin là maintenant, t'en as tellement besoin que tu arrives même à t'avouer que c'est pour te rassurer, que tu pourras y puiser l'assurance dont tu es un peu à court face à ton nouveau défi, que cette foutue liste de prénoms et de dates t'est nécessaire pour te rappeler que tu es bon, que tu sais jouer, que tu as toujours su et qu'aujourd'hui encore tu peux y arriver.

Parce que le défi du jour porte mon nom à moi et que tu sais déjà que ce ne sera pas facile. Tu l'as vu à mes regards quelque peu effrontés, emplis d'indifférence, bourrés de désintérêt, tu vois tout ça quand tu me vois et tu sais que la partie est loin d'être gagnée. Qu'il va falloir pousser un peu plus loin la personnalisation de ta stratégie à la mécanique d'ordinaire impeccablement huilée, standardisée, automatisée.

Mais tu me veux si fort que tu ne manques d'aucun courage, tu vas les faire ces putain de concessions sur tes habitudes chéries, tu vas le donner ce putain de temps que tu ne consacres jamais, tu vas les fournir ces putain d'efforts qu'on ne t'a pas demandé de faire depuis bien longtemps. L'échec n'est pas envisageable, tu feras ce qu'il y aura à faire, tu diras ce qu'il faudra dire, et peu importe que ça te prenne des semaines ou des mois, tu sais que tu veux et tu sais que tu auras. Il n'y a pas d'alternative.

T'en es là de tes réflexions quand tu retrouves enfin ce petit carnet gris - réceptacle, au cours de tes plus belles années de jeu, des noms de tes adversaires - et le timing de la trouvaille est parfait, tu le vois comme le signe de la réussite à venir, il ne peut en être autrement. Là haut dans le ciel t'as la putain de bonne étoile du séducteur sans faille qui guide chacun de tes mouvements, et plus près, juste là au-dessus de ton épaule, t'as ta marraine la bonne fée qui te susurre à l'oreille que tu ne peux qu'y arriver. 

Alors tu relèves tes manches, t'affiches ton sourire de winner, tu bombes le torse, tu te sers un Jack et tu te laisses tomber confiant sur le tapis angora qui trône là devant ta cheminée. Ton regard va des flammes à ton verre, tu y puises le feu et la fougue nécessaires, puis tes yeux se posent sur ce petit carnet que tu t'apprêtes à parcourir avec l'espoir que les souvenirs qu'il va faire affluer seront autant d'indices sur ce que tu vas devoir mettre en place pour parvenir à tes fins. Tes succès s'étalent devant toi, noir sur blanc, griffonnés de ta propre main, et te les remémorer fait couler dans tes veines la sève bénie de l'assurance retrouvée.

Avant de plonger plus profondément dans les abysses d'un passé qu'il te faut mettre au service de l'avenir immédiat que tu veux tracer, tu fermes les yeux quelques secondes, l'image de mon visage se colle sous tes paupières, tu souris encore, le rictus a des airs de sadisme mais qu'importe puisque personne ne te voit et qu'aucun miroir ne te montre ce à quoi tu ressembles quand tu es déformé par la rage et l'envie et les certitudes. Puis le sourire disparaît quand tes lèvres s'entrouvrent pour murmurer un "game on, poupée" qui te propulse illico à 10000 bornes au-dessus de la mer, pile à l'étage sacré où sont stockés ta confiance en toi, tes ruses et tes artifices. Tu décides de t'y promener un peu. Tu es prêt.

© Isa – mars 2014

dimanche 2 mars 2014

Up & Down

Putain ça monte. 
C'est pourtant pas encore tout à fait perceptible, un frémissement, une putain d'aile d'oiseau qui commence à remuer, un décollage en douceur, ça ne fait pas le bruit d'un hélicoptère, ça ne tremble pas de partout mais toi tu sens le truc arriver dès les premières vibrations. L'habitude, t'sais.
Les autres autour ils n'y captent que dalle, au début tu sais bien cacher, tu dissimules les joues qui voudraient rougir, tu parles fort pour couvrir le bruit du cœur qui accélère, tu te tiens à la rambarde et on ne voit pas que tes jambes commencent à se dire merde l'une à l'autre. T'es encore un peu dans la maîtrise du phénomène, tu sais bien qu'à un moment ce ne sera plus vraiment le cas alors tu savoures l'instant et tu te prépares à l'invasion totale avec le peu de moyens que la vie t'a donnés. De la musique pour adoucir tes mœurs, des mots pour sortir le trop plein, des attitudes pour te donner le change de l'assurance. Comme avant une tempête, tu fais l'inventaire de ce dont tu as besoin, tu fais des listes et tu refais les stocks. Tu remplis les placards des denrées vitales et tu attends le déferlement.
Et puis le premier souffle de vent dans les feuilles. Les premières gouttes de pluie. La première effluve de la Nature qui s'éveille. 
Et d'un coup d'un seul, boum, ça tombe. Rideau de pluie, rafales à 200 kilomètres/ heure, l'accélération est exponentielle, les éléments se déchaînent et tu ne gères plus rien. Tu te retrouves là au milieu de tout ça, trempée, perdue, affolée, et tout ce que t'as pu anticiper, prévoir, préparer ne te sert plus à rien et tu te sens bien naïve d'avoir envisagé que ça pourrait suffire.
Évidemment maintenant ton malaise se voit, tes joues rouges, ton cœur qui bat, tes jambes qui vacillent, tu ne caches plus rien, tu ne cherches plus à cacher, t'as pas la force, t'as pas la foi, t'es à 12000 et y a plus que ça.
Level up, l'ascenseur émotionnel vient de s'arrêter au tout dernier étage. Penthouse.

Et oh putain ça redescend.
La chute quant à elle, tu ne la vois pas arriver, jamais. Elle s'impose à toi comme la fin d'une chanson, le vide, le silence, ça s'arrête net, c'est fini, mais à l'inverse de la chanson y a pas de fonction replay, c'est pas toi qui choisis là, tu ne contrôles rien ma grande, tu subis et tu la fermes, la Nature déroule son master plan sans te demander ton avis, t'as rien à dire, rien à faire, juste sentir le calme qui revient brutalement tout autour de toi.
Sauf que chez toi évidemment le calme soudain du dehors ne rime pas avec l'apaisement du dedans, au contraire, le vide te brûle, le silence t'angoisse, et c'est parti pour un tour direction mélancolie, son lot de peurs et de manques et de frustrations en tous genres. Toi tu voulais que la fête continue, t'étais bien là haut, y avait du bon son et des gens et de la came qui dilate les vaisseaux et rend sensible chaque terminaison nerveuse, tu vivais, tu ressentais, ça bougeait et tu ne contrôlais que dalle mais putain tout vaut mieux que l'immobilisme là, tout vaut mieux que la gueule de bois des lendemains, que la nausée, l'haleine pas fraîche, la langue coton.
Plongée vertigineuse en eaux troubles, dans les bas fonds de la solitude et de l'envie que tout se poursuive et que rien ne s'arrête, sans passage par la case stabilisante de l'entre-deux-extrêmes, de l'entre-deux-folies, sans nuance, sans étape, sans crochet, sans détour.
Les câbles ont lâché net, sectionnés à la hache par une force à laquelle tu es complètement étrangère, t'es dans les limbes et y a plus que ça.
Level down, l'ascenseur émotionnel chute brusquement en-dessous du niveau de la mer. Basement flat.

Avec un peu de chance, si la vie t'accorde un peu de répit, ça ne redécollera que dans quelques jours et tu auras de nouveau le temps de faire comme si tu pouvais t'y préparer.

Mais comme t'es pas une grande chanceuse et que la vie prend plus qu'elle n'accorde, il est plutôt fort probable que les allers-retours se multiplient dans la journée.

C'est ça ta vie, hein, poupée. Il est grand temps de t'y habituer.

© Isa – mars 2014