Pages

dimanche 26 octobre 2014

Pas maintenant.

Un jour, tes erreurs de jeunesse seront réparées. Tu seras enfin suffisamment mature pour avoir les clés te permettant de les corriger, tu auras appris d'elles et ne les reproduiras plus, tu sauras les effacer. Elles t'auront forgée et poussée à devenir une version plus saine de toi-même, juste assez pour ne plus tomber dans les mêmes travers, juste assez pour que tu puisses enfin dire qu'en plus d'avoir vieilli, tu as aussi grandi. Un jour.
Mais pas maintenant.

Un jour, tu trouveras ta place dans leur vie. A équidistance du trop et du pas assez, entre l'euphorie et la mélancolie, à mi-chemin entre trop loin et trop près, entre trop froide et pas assez absente. Tu ne marcheras plus comme sur des œufs, mais, toute droite dans tes bottes et certaine du rôle que tu as à jouer auprès d'eux, tu avanceras droit sur une ligne tracée au crayon suffisamment épais pour que tes pas s'y emboîtent sans risquer d'en déborder. Un jour.
Mais pas maintenant.

Un jour, tu t'épanouiras dans ton activité quotidienne. Tu n'auras plus à porter le masque usant du sourire forcé et des hochements de tête sans conviction, tu ne t'encombreras plus de ces savoirs qui ne te sont utiles en rien, tu ne seras plus la courroie de transmission de ces valeurs auxquelles tu n'as jamais su adhérer. Tu seras libérée de ce qu'en haut on t'impose, affranchie des regards que d'en bas on te jette, tu t'échapperas de cet entre-deux étrange que seule la schizophrénie soigneusement développée pendant des années te permet d'affronter. Un jour.
Mais pas maintenant.

Un jour, tu pourras transformer tes rêves en projets. Tu monteras une marche supplémentaire vers la concrétisation de tes envies, elles ne seront plus mises au placard des fantasmes sans lendemain, elles quitteront le stade de l'imaginaire pour se matérialiser sous la forme de plans d'action, d'échéances et d'étapes à franchir. Tu auras le droit de les exprimer à voix haute, tu en parleras avec ce qu'il faut de conviction et de courage, et rien ne t'arrêtera. Un jour.
Mais pas maintenant.

Un jour, tu sauras faire du tri autour de toi. Tu sauras dire non à ceux que tu ne veux plus dans ta vie, tu sauras le faire sans trop les froisser et en assumant de ne pas vouloir te sacrifier, tu les repousseras avec douceur mais fermeté. A l'inverse, tu arriveras à prouver à ceux qui comptent à quel point ils comptent, à quel point c'est dur quand ils sont loin, à quel point ils sont devenus indispensables. Tu trouveras les mots justes pour chacune des personnes que tu croiseras, les mots exacts, ceux qui retranscriront à la perfection ce qu'il y a en toi pour eux, ni plus, ni moins, tout juste comme il faut, tout juste comme tu ressens. Un jour.
Mais pas maintenant.

Quand ?
On le saura un jour.
Mais pas maintenant.

© Isa – octobre 2014

dimanche 19 octobre 2014

Il y a moi & moi

Ne crois-tu pas qu'il est un peu trop facile de reprocher à l'autre de ne t'offrir qu'une vision parcellaire de la personne qu'il est ? Je ne peux donner que ce que tu es prêt à recevoir de moi, ne dire que ce que tu es prêt à entendre, ne montrer que ce que tu es prêt à voir. Ce n'est pas moi que je cherche à dissimuler, c'est toi que je cherche à préserver, quand l'image que je décide de faire parvenir jusqu'à toi est tronquée selon un schéma bien précis, quand elle est entourée de zones d'ombre, quand elle n'est pas exhaustive.

Ne vois-tu pas que si j'évite de tout dévoiler, c'est parce que je ne sais que trop que tu n'es pas apte à appréhender ce que je suis dans son intégralité ? C'est toi qui choisis de ne voir qu'une facette plutôt que tous les contours, c'est toi qui te contentes du personnage sans creuser pour trouver la personne, c'est toi qui décides de t'arrêter quand le travail de fouille te semble trop ardu. Ce n'est pas moi que je rends mystérieuse, c'est toi que je pousse à t'interroger, à t'intéresser, et je ne t'imposerai jamais ce que visiblement tu ne cherches pas à deviner.

Je n'ai aucun problème avec celle que je suis. Je connais tous mes courages, toutes mes imperfections, toutes mes failles. Je suis consciente de chacun de mes défauts, de chacune de mes facettes, de chacun de mes personnages. Je sais les rôles que je joue, je sais les vérités que je dévoile. Je connais toutes les astuces que je décline pour ne mettre en lumière que ce que tu es en mesure de regarder, et je connais parfaitement ce qui se cache au-delà. Je me connais par cœur, je me pratique depuis des années, je sais quand je suis dans la représentation et quand je suis dans l'être, je sais quand ce que je dégage est déguisé par les conventions, je sais quand ce que je montre n'est paré d'aucun artifice.

Tu me dis actrice, tu me dis menteuse, tu me dis manipulatrice parfois. Te poses-tu la question de pourquoi je dois jouer, mentir et manipuler ? Imagines-tu un seul instant te retrouver face à toutes les femmes que je suis, d'un coup d'un seul, sans aucune parure et sans aucun trait caché ? Visualise. Serais-tu capable de gérer à la fois le personnage public, celui qui est surjoué parce qu'il s'adresse à un auditoire étendu qui n'attend que le superficiel, le drôle et le léger, ce personnage plein de confiance et d'estime qui assène ses vérités sans se soucier de ce qu'en pensent les autres, mais aussi la femme qui se cache derrière, pleine de doutes et de failles et de contradictions, celle qui est effrayée par les gens et par le monde et par les envies qui l'assaillent ? Arriverais-tu à t'y retrouver, si tu avais ces deux moi réunis dans un seul corps, là juste en face de toi ? Assumerais-tu de devoir jongler de l'un à l'autre, de devoir rire quand je me donne en spectacle, de devoir vite retrouver ton sérieux quand j'exprime du vrai et du douloureux et du dérangeant ? Saurais-tu regarder la petite fille qui crie et pleure à l'intérieur de moi quand, blessée par la vie, elle avoue ne plus se retrouver dans mes traits adultes, puis soudainement recommencer à rire et à badiner quand le personnage haut en couleurs reprendra le dessus ? As-tu vraiment envie de ça ?

Il y a plusieurs mondes dans le monde, plusieurs personnes dans une personne. Et une infinité de possibilités de recoupages entre chacune de ces personnes et chacun de ces mondes. Chaque recoupage que je dévoile à tes yeux, je le choisis soigneusement en fonction de ce que je te sais capable de supporter. Ne viens pas me reprocher de ne rien te dire de plus, comprends plutôt que c'est à toi de montrer que tu as envie de savoir, et que tu as les épaules pour le gérer. Ne viens pas m'accuser de surjouer, comprends plutôt que c'est à toi d'être en demande de quelque chose de plus simple, de plus vrai. C'est un travail que je ne peux pas faire pour toi, je suis déjà bien trop occupée à le faire pour mes propres attentes vis-à-vis de ceux que je côtoie. Observe, trie, décide, et dis-moi. Tout est aussi simple que ça.

Et si parfois tu jalouses certaines de mes relations avec d'autres, qui te paraissent démesurément fortes et entières et sans aucune comédie, sache qu'elles sont nées d'une demande de leur part, vraie, sincère, motivée par une réelle envie. Qu'à un moment ils ont dit "je veux tout", et que j'ai vu et entendu et senti que non seulement ils le pensaient vraiment, mais qu'en plus ils étaient en mesure d'en assumer les conséquences. Et ça c'est rare et cher, c'est rare et beau, c'est rare et précieux, et ces personnes-là se comptent sur les doigts de la main. 

Regarde ta main à toi : es-tu sûr que tu me veux sur l'un de ces cinq doigts ? Es-tu sûr qu'il y a vraiment une place pour moi ? Que je ne la vole à personne qui la mériterait plus, qui l'honorerait plus ? Tu n'as aucune certitude, n'est-ce-pas ? Alors ne viens pas me reprocher de ne pas me donner à toi. Prends plutôt de moi le personnage superficiel, l'image publique, ils sont là pour ça. 

J'assume sans pudeur l'air hautain que cela va me donner de le dire : le vrai moi ne se gaspille pas. C'est valable pour chacun d'entre nous. Ne nous gaspillons pas, et ne gaspillons pas les rares places qu'il y a sur chacun de nos doigts.

© Isa – octobre 2014