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vendredi 3 janvier 2014

...déjà à l'heure de la désillusion quotidienne...

Elle a ses habitudes quotidiennes qui s'égrènent presque à heures fixes tout au long de la journée. Le rituel du réveil, c'est la caféine et la nicotine, à dose de cheval, comme pour s'injecter le mal dès le saut du lit. A un moment, plus tard, il y aura toutes ses autres manies, ces sites sur lesquels elle se connecte tous les jours, juste pour voir, ces personnes à qui elle enverra des messages, juste pour saluer, ces gestes qu'elle fera par réflexe, juste parce qu'il le faut. Et puis, sans qu'elle ne s'y attende, bien qu'elle sache maintenant que c'est inéluctable, sa petite dose journalière de désillusion.

Celle qui peut prendre n'importe quelle forme. Des sourcils qui se froncent de surprise ou de colère à la lecture d'une nouvelle qui lui coupe le souffle, des crampes partout dedans quand elle constate que quelqu'un qu'elle aime va mal, la tête qui lui tourne un peu quand elle est emportée par de vieux démons, les jambes qui tremblent quand ce qu'elle voit l'empêche de tenir debout bien droite. Il y a forcément un moment, dans chaque journée, où quelque chose, ou quelqu'un, provoquera en elle ce sentiment là, mélange de frustration, d'impuissance et de déception, le tout parfois enrobé d'une rage qu'elle tente tant bien que mal d'endiguer pour ne pas se laisser manger par elle.

Même si maintenant cela fait des années qu'elle sait qu'elle va y avoir droit à un moment ou à un autre, souvent les heures passent avec douceur sans qu'elle n'y pense vraiment, trop absorbée par les jolies choses qui les ponctuent parfois. Elle ne voit que le beau, que l'agréable, parce que c'est ça que la vie lui envoie, elle s'en empare, s'en entoure, sautille dans des petites flaques d'un bonheur dont elle finit par penser, naïvement, bêtement même, qu'il sera éternel, inaltérable. Et puis arrive la claque quotidienne, le bémol qu'on balance sur les notes qui se jouaient dans sa tête, le panneau STOP sur la belle ligne droite qu'elle parcourait à vive allure, l'appel de phares de la vie qui cherche à lui faire comprendre qu'elle n'a pas le droit de se prélasser dans un bonheur qui ne sera jamais tout à fait sien. Qui veut la réveiller, la sortir de son inconsciente insouciance, de sa léthargie bienheureuse, de son road trip sur les routes de la candeur. 

Tiens ma grande, prends toi ça en pleine tronche, et redescends maintenant, ta vie à toi elle est tout en bas, arrête de monter si haut avec tout ton espoir de bonheur à la con, avec tous tes rêves de légèreté et de normalité, avec toute ta naïveté de penser que toi aussi tu as le droit à ta part de gâteau, tu sais bien que t'es privée de ça, que t'es au régime depuis que t'es née, que les autres peuvent s'empiffrer tant qu'ils arrivent à absorber mais que toi tu dois te contenter des miettes qu'ils laissent sur le bord de leur assiette, repus de s'être si bien gavés du sucre et du miel et de tout ce qui est doux en bouche.
Tiens, toi là, bouffe plutôt de l'acide, de l'amer ou du rance, pique toi la langue et le cœur aux saveurs qui font grimacer, ne te réjouis jamais trop du morceau de chocolat qu'on dépose dans ta bouche, tu as juste le droit de le suçoter quelques secondes, pour en avoir un avant-goût magique qui te fera saliver, puis on te forcera à tout recracher avant d'avoir eu le temps d'avaler.
Tiens, grande inconsciente, mets-toi dans les oreilles cette musique qui te fait bouger, qui te donne envie de marcher avec conviction et assurance, laisse-toi envahir par elle comme si elle pouvait te porter, comme si elle pouvait te rythmer, et puis là quand tu ne t'y attendras pas, quand elle aura pris place sous chaque millimètre carré de ta peau faisant de celle-ci un endroit où il fait bon vivre, on coupera le son, on débranchera les écouteurs, ou alors on te balancera à 120 décibels une mélodie si sombre et si triste que tes jambes en vacilleront et que tu en tomberas.

Et puis parfois la vie est un peu plus gentille avec elle et ne lui laisse pas le temps d'imaginer le bonheur avant de lui injecter cette dose quotidienne de désillusion. Elle la lui livre dès le réveil, comme troisième ingrédient du petit-déjeuner habituellement cantonné au café et à la cigarette. Elle n'attend même pas que ses yeux soient tout à fait ouverts, son cerveau tout à fait allumé, ses sens tout à fait en alerte. Elle ne lui offre aucun répit matinal, aucun moment de bien-être trompeur, aucune illusion que la journée se déroulera sous un ciel sans encombre. 
Elle lui balance dès l'ouverture une belle dose de froncement de sourcils, de crampes partout dedans, de tête qui tourne et de jambes qui tremblent, bien avant qu'elle n'ose espérer ne pas vivre ça avant quelques heures.

Merci la vie de ne pas me laisser le temps de bêtement croire qu'aujourd'hui, pour une fois, tout va bien se passer. Tope là copine, t'assures un max quand tu me préserves de toute cette naïveté si souvent renouvelée.

© Isa – janvier 2014

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