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dimanche 18 août 2013

...Réunionnaise ET banlieusarde...

J'ai débarqué de mon île natale en juillet 1997, quelques semaines avant de fêter mon douzième anniversaire.

Quand nous sommes arrivés, il y a 16 ans donc, c'était encore les vacances d'été, et ce mois et demi avant la confrontation avec les autres enfants de mon âge a été le théâtre d'une grande excitation, d'un grand bonheur : j'étais plus que ravie de m'installer près de Paris, loin de cette île que je trouvais bien trop petite, bien trop familière, bien trop étroite pour mes ambitions...

Et puis l'école a repris et c'est à 9000 kilomètres de mes anciens amis et professeurs que j'ai fait cette rentrée des classes toute particulière : j'étais encore plus stressée, encore plus nerveuse, encore plus intimidée que les années précédentes. Tout était nouveau pour moi : prendre le bus pour aller au collège, rester manger à la cantine le midi, être en école privée, ne reconnaître aucun visage familier.

L'objet de ce billet n'est pas de multiplier les exemples du choc culturel qu'a représenté pour moi notre installation ici. Il y en a tellement... Mais pour n'en citer que quelques-uns... :

  • ne plus entendre l'appel à la prière résonner le soir à la tombée de la nuit, parce qu'ici les mosquées sont silencieuses... 
  • dans la même veine, être inscrite en école privée catholique où en tout et pour tout et en forçant le trait il devait y avoir 10 "non-Blancs"...
  • être moquée parce que je porte des jupes à fleurs & des robes colorées...
  • ne plus aimer le contact de la pluie avec ma peau, parce qu'elle n'est pas chaude & qu'elle ne sent pas la mer...
Il a fallu s'adapter, et vite. Acheter des pantalons et des sweats noirs. Trouver des occupations indoor parce qu'on ne peut plus vivre dehors. Apprendre et reproduire le langage de la banlieue. En profiter pour gommer son accent "des îles" comme disent ceux d'ici qui aiment à nous regrouper tous dans ce lointain "ailleurs" qu'ils ne situent pas très bien. Apprendre les saisons et ce qui va avec : la mode d'hiver, la mode d'été, la cuisine d'hiver, la cuisine d'été. Ici si tu manges une glace un 27 décembre ou une raclette un 12 juillet, tu passes pour quelqu'un de décalé. Et être décalée, ça, moi, je ne le voulais pas. J'étais déjà l'intello, j'étais aussi la grosse, j'étais évidemment la nouvelle. Je ne voulais pas en plus être la bizarre.

Alors j'ai trouvé des parades. Difficile aujourd'hui pour moi de détailler, parce que j'ai un peu honte de ce que j'ai fait, de la vie que je m'inventais, des vices que je me vantais d'avoir, des sacrifices que j'ai commis pour espérer être acceptée. Tant bien que mal, je me suis adaptée. En tout cas, j'ai survécu à cette période étrange qui paraissait n'en plus finir - cette période où tu aimerais tellement être tout sauf ce que tu sais être, là, au fond.

Je n'étais pas très populaire, mais je me suis entourée de quelques amies solides, présentes. J'ai caché mon manque de confiance en moi sous des couches toujours plus importantes de graisse, toujours plus sombres de vêtements difformes. J'ai parlé comme eux, comme une banlieusarde. J'ai mangé comme eux, comme une Métropolitaine. Je me suis habillée comme eux, comme une adolescente lambda.

 Et j'ai poussé comme ça, aussi grise que le ciel au-dessus de ma tête, peut-être même aussi froide que les hivers rugueux que j'ai traversés. Je me suis construite dans ce décor, avec ses règles et ses codes, qui sont devenus mes règles, mes codes. Je suis devenue une banlieusarde qui n'a plus grand chose d'une Réunionnaise.

Pourtant... 16 ans plus tard, alors que j'ai passé bien plus de temps ici qu'à La Réunion, je m'étonne encore de ressentir violemment, profondément, le manque de mon territoire natal, comme une pichenette de mes racines qui viendraient me rappeler régulièrement que je ne suis pas tout à fait d'ici. Que je simule quand je dis être parfaitement adaptée à la vie métropolitaine. Que je feins d'avoir tout ce qu'il me faut quand je me contente de ne voir la mer que tous les 36 du mois. Que je manque de soleil, de chaleur, de métissage, de tolérance, de vivre-ensemble, de sable, de montagnes, d'air frais, de vert, de bleu et d'ocre. Que je pourrais élever mes enfants dans l'indifférence parisienne et en leur apprenant à nager dans une piscine. J'ai tellement aimé grandir au bord de l'Océan...

Malgré tout, je ne suis pas non plus tout à fait de là-bas. Je parle le Créole bien sûr, mais j'ai du mal à comprendre toutes ses subtilités. J'ai connu la possibilité d'être à quelques heures de route de nombreux pays et ai du mal à m'imaginer revivre sur ce petit caillou si isolé du reste du monde. Je ne pourrais plus manger du riz tous les jours comme on le fait là-bas. Et si ici je me plains parfois de l'indifférence ambiante, saurais-je de nouveau vivre là où tout le monde sait tout de tout le monde ?


Le déracinement a cela de vil qu'il nous fait perdre nos repères et nous en approprier de nouveaux qui ne seront jamais vraiment les nôtres ; je ne suis ni juste Réunionnaise, ni juste banlieusarde, mais plutôt à mi-chemin entre ces deux identités qui ne sont que partiellement miennes...

© Isa - août 2013

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