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mardi 11 février 2014

...dans ma réalité virtuelle...

Tu dégaines ton jugement sur le ton choisi d'une lapalissade que je renierais parce que ça m'arrange bien. Viens on remet les pendules à l'heure, le compteur à zéro, et tu me laisses l'opportunité de tenter de faire naître l'infime possibilité que peut-être, un jour d'alignement céleste favorable, tu pourrais éviter de balancer tes skuds sans chercher à piger.

T'intéresser à moi, t'sais, c'est bien plus que lire ce que j'écris avec tes yeux à toi, y donner un sens avec ton cerveau à toi, recracher tes conclusions avec tes mots à toi. Je sais, c'est dur, se mettre à la place de l'autre, enfiler ses chaussures, regarder avec son prisme, interpréter avec son cadre de référence, reformuler avec un vocabulaire qu'il comprend, poser des questions avec une curiosité saine et sans attendre la réponse qui t'arrangerait le plus, c'est dur, ça demande un peu d'énergie et une sacrée dose de ce que les gens parfois aiment appeler "l'empathie". Ouais je t'assure ils en ont carrément pondu un mot exprès pour, qui veut dire tout juste ça, il fait trois syllabes je sais c'est beaucoup mais normalement passé le CM2 tu devrais être à l'aise avec la recherche dans le Larousse donc je ne me fais pas trop de souci pour toi. Au pire essaie sur Wikipédia.

Donc en fait le sujet du jour c'est que t'as cru que tu pouvais juger mon comportement online sous prétexte que, donc, Internet c'est pas la vraie vie.

Pour paraphraser mes copains d'ici, nan mais "LOL" quoi.

Attends que je te dise comment ça résonne dans mon intérieur à moi. Attends que je fasse défiler sous tes yeux toute l'émotion brute que me procurent certains échanges que jamais toi tu ne connaîtras. Attends un peu que je compare ce que tu vis dans "la vraie vie" avec la puissance 1000 que certains et certaines ajoutent à ce que je peux ressentir parfois par le biais de leur présence "virtuelle" que tu as du mal à appréhender parce que tu ne peux pas la toucher des doigts. Attends que je te montre les tweets, les mails, les textos, les appels, attends qu'on les ait décryptés ensemble. Attends un peu. Après tu vois.

Tu me vois comme une "nolife", donc. Évidemment tu ne connais pas ce mot mais c'est comme ça qu'on dit ici-bas, dans le merveilleux univers 2.0.

Tu crois que je ne connais pas l'amitié. Celle où on peut s'appeler à 2 heures du matin pour tout et n'importe quoi, parce qu'on a plus de tunes et qu'on arrive plus à en dormir, parce qu'on est fin bourré et qu'on ne peut pas reprendre le volant, parce qu'on est trop heureux et qu'on peut pas attendre demain pour partager, parce qu'on est trop mal et qu'on a besoin de pleurer. Détrompe-toi mon grand, je connais ça. J'ai ça. J'ai de merveilleux amis qui ont été là, qui sont là, qui seront là. Quoi qu'il arrive, où que j'aille, qui que je devienne. Ils sont là. T'inquiète pas pour moi, j'ai. Et je remercie le ciel et tout ce qui va avec chaque jour d'avoir cette chance là.

Tu crois que je ne connais pas la famille. Celle où on sent presque tout le trajet que le sang fait chez l'autre tellement qu'on partage le même. Celle où à 10000 bornes on sent la peur et la joie et la peine et l'amour parce que c'est une évidence, parce que c'est gravé dans la roche. Retire ça tout de suite de tes pensées, hein, je vis sans ma famille depuis avant même que je sois en âge de glisser un bulletin dans une putain d'urne et mon sang je le connais, je sais d'où il vient, je sais pourquoi il coule et je sais qui me l'a fabriqué exactement comme il est là. Tu peux pas test gros, mes soeurs et ma mère sont à l'autre bout de la planète, mon frère a déserté ma vie parce qu'il a jugé préférable de vivre la sienne sans moi dedans, mon père a disparu du monde à l'aube de mon adolescence et tu crois vraiment que tu as des trucs à m'apprendre sur l'importance de tout ça ? Ouvre les yeux mon gars.

Tu crois que je ne connais pas l'amour ? Celui qui te décolle les pieds du sol, celui qui alterne les phases où ton bide est tellement serré que tu voudrais en crever et les phases où y a tellement de papillons dedans que tu ne vis que pour ressentir ça, celui qui te fait oublier qui tu es, où tu vas, comment tu t'appelles, combien tu peux donner ? Ah ouais tu crois que moi, là, je ne connais pas ça ? Moi la nana qui a appris l'amour avant même d'apprendre à compter, je schématise tu vois bien mais n'oublie pas le vécu que la meuf en face elle a, hein, n'oublie pas le parcours, les sacrifices, les folies, les fugues. N'oublie pas que la passion a été inventée pour elle et si t'en es pas encore convaincu, au lieu de juger, demande lui de te raconter l'ivresse, la fougue, le désir, les innombrables conneries passées et futures, le don inconditionnel, la peau qui frémit, les jambes qui vacillent. Vas-y mets-toi dans son corps ne serait-ce qu'un quart de journée, subis les assauts d'envie qui se déchaînent à l'intérieur, affronte le mélange explosif de tout ce qui se passe en elle. Après ça on en reparle.

Je sais tout ça. Je connais, j'ai ma part, ne t'inquiète donc pas pour moi.

Envie-moi plutôt. Jalouse-moi même. Parce qu'en plus de tout ça, j'ai plein d'autres trucs encore.

J'ai leurs mots le matin quand je me réveille et que j'ai peur d'aller vivre la journée qui m'attend. J'ai leur présence à tout instant quand je n'arrive plus à dormir. J'ai leurs réactions à chacun des billets que je poste ici, leurs partages, leurs félicitations, leurs confidences parfois. J'ai les codes que nous seuls connaissons parce que nous faisons partie du même monde, nos punchlines, nos running gags, nos hashtags et nos habitudes. Tu connais pas ça, toi. J'ai leurs bonnes ondes quand je leur dis "pense à moi à 11h" et qu'à 10h58 je reçois les premières images de trèfles à 4 feuilles. J'ai leurs blagues qui me font hurler de rire aussi silencieusement que possible parce qu'autour de moi on ne comprendrait pas. J'ai leurs commentaires à la con les soirs de programmes télé populaires, que ça me plaise ou pas. J'ai leur avis sur tout et n'importe quoi, j'ai leur pensée unique sur certains artistes ou certains événements et ce que ça éveille d'esprit critique en moi. Je ne suis jamais vraiment seule, tu vois. C'est peut-être du fake pour toi tout ça, mais chez moi ça comble un manque qui était quand même bien présent jusque là. Rien que pour ça déjà, je te laisserai pas le droit de juger l'immatérialité de la chose.

Et puis certains d'entre eux, quoi. Ceux qui sont rares et précieux et que j'aurais envie d'enfermer pour les garder juste pour moi. Ceux qui m'ont pigée en trois millièmes de secondes et qui me parlent comme s'ils étaient en face de moi. Ceux qui trouvent les mots quand, dans ce que t'appelles "la vraie vie", personne ne les a. Ceux qui cherchent à savoir et qui, quand ils savent, guérissent. Ou tentent, au moins. Proposent. Acceptent. Pardonnent. Comprennent. T'as réussi à trouver ça, toi ?

Nan, t'as pas, hein ?
Alors occupe-toi déjà de trouver une came aussi puissante que celle-là et d'ici là, garde tes conclusions douteuses pour toi.

© Isa – février 2014

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