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dimanche 13 avril 2014

Une rencontre

Il m'aura fallu 30 secondes pour te capter. Te cerner, te reconnaître, me reconnaître en toi. On a pas eu besoin de plus pour savoir qu'on était faits du même bois, sortis du même moule.

Pour tout le monde autour, on ne se ressemble pas. La différence d'âge, le niveau et le style de vie, ta capacité à fédérer, ma tendance à m'isoler, beaucoup nous oppose. Et pourtant... 

Et pourtant il y a en toi comme en moi cette tendance naturelle à l'amour immédiat, celle qui nous fait dire "je t'aime" avec une facilité déconcertante, à lui, à elle, à eux, entre nous aussi alors qu'on ne se connait que si peu. Parce qu'on est séduits par l'idée même de l'amour, parce qu'on s'en nourrit, parce qu'en face on attend de nous des mots qui rassurent et qu'on répond à cette attente par des mots qui choquent, qui bouleversent un peu. On sent tous les deux le pouvoir qu'on a quand on use et abuse de ces déclarations enflammées, lâchées pile au moment opportun, ce moment où l'autre n'est pas préparé à les recevoir et où on peut asseoir sur lui toute cette autorité naturelle et incontestablement légitime de celui qui sait qu'il abat les bonnes cartes. Victoire par KO de l'adversaire bousculé par ces mots qu'on distribue à qui les veut mais qu'il pense être le seul à recevoir. 

Et pourtant il y a en toi comme en moi cette soif d'aventures et cette faim de corps, insatiables toutes deux, inaltérables malgré le temps qui passe et les rides qui s'installent et les personnes qui défilent. Ce tableau de chasse qu'on garde secret aux yeux de tous et dont on discute parfois tous les deux, sans fausse pudeur ni modestie, je te vois en sourire de l'autre côté de ces écrans qui nous séparent, je t'entends penser comme moi qu'on fait bien la paire tous les deux, on en arrive même à se dire qu'on est peut-être un peu cruels, un peu durs avec ces autres qu'on fait entrer et sortir de nos vies à un rythme endiablé, on se le dit puis on se pardonne mutuellement, comme si on pouvait s'absoudre de nos pêchés entre nous, sans les prendre eux en considération, comme si notre complicité et nos similitudes nous donnaient le droit de ne pas les intégrer à l'équation. Il y a toi, il y a moi, il y a nos habitudes douteuses et maladroites et égoïstes, mais comme on est ensemble et qu'on se ressemble, on se lave les mains l'un l'autre de tout ce mal qu'on fait parfois.

Et pourtant il y a en toi comme en moi la certitude que les fils de nos vies ont eu raison de se croiser, "il n'y a pas de hasard" s'est-on dit l'autre soir, on était faits pour se trouver et avancer de quelques kilomètres ensemble, sur les mêmes chemins sinueux du vice et de la décadence. Il a fallu qu'on pose les bases de la relation qu'on allait entretenir, "ne tombe pas amoureux" t'ai-je réclamé cent fois, "on pourrait se faire beaucoup de mal" m'as-tu répondu souvent. L'ajustement nécessaire de nos attentes, de nos envies et de notre propre connaissance de qui on est vraiment, au fond, nous a naturellement conduits à ça, à savoir qu'entre nous ça pouvait être très fort et que par conséquent il faudra que ce soit très court, sous peine de faire entrer en nous la douleur de la passion non maîtrisée, l'ivresse des proportions mal respectées, la souffrance de l'amour qui ne pourra jamais s'épanouir au grand jour. Il y a en toi comme en moi la volonté de n'être ensemble que du beau et du bon, quitte à savoir dès le début que ça ne durera pas, qu'on ne peut pas se le permettre sur le long terme, qu'on en imploserait avec perte et fracas. Le fusionnel ne nous réussit pas, vivons-le quelques mois puis séparons-nous vite avant de nous faire mal, c'est le deal de départ, c'est l'hypothèse de base. Dans quelques temps il y aura en toi comme en moi le souvenir amusé de cette histoire qui appartiendra déjà au passé mais restera présente encore quelques temps dans nos mémoires...

Je t'ai reconnu, tu sais, je te vois être celui que tu es. Tu m'as reconnue, je le sens, tu me vois te ressembler. Il aura suffi d'un ou deux échanges sur la toile puis d'un seul regard lors de notre première rencontre, pour que tout cela s'impose à nous. Surprenante mise en présence de deux êtres dont les lignes jusque là parallèles s'entrecroisent enfin, pour leur plus grand plaisir malgré leurs plus grandes craintes. Avançons côte à côte maintenant. On a encore un peu de temps.

© Isa – avril 2014

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