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lundi 21 avril 2014

La photo

Stop. On ne bouge plus. Arrêt sur image. On enquillera ensuite un fondu puis le générique de fin mais là tout de suite il faut prendre le temps d'analyser en statique. Ça va trop vite le reste du temps, action, réaction(s), mouvements, rebondissements, entrées et sorties des personnages, remplacements, mutations, avatars, ça bouge sans cesse et ça bloque l'analyse.

Alors stop. 

On dégaine l'appareil, on clique fébrilement et on attend que le Polaroïd sorte. Et là on regarde. On se tient droit, on bombe le torse et on ne cligne pas des yeux. Y a pas de place pour l'émotion, pour les frissons et pour les regrets, la question n'est pas là, l'enjeu doit être placé bien au-delà du ressenti. On est pas là pour ça. Peut-être au prochain épisode...

Pour l'instant le but est de faire le constat. Voir les couleurs et les dégradés de gris, capter ce qui remplit et ce qui brille par son absence, observer le décor et les gens, repérer ta place sur le cliché, est-ce que t'es au milieu ou dans un coin et est-ce que ton regard est vide ou pétillant. 

On en est là. L'exercice n'est pas facile, faut du recul et une vue solide, et t'es pas forcément équipée. Tu plisses les yeux pour être sûre de ne rien manquer, tu t'approches pour scruter, tu en loucherais presque, et tu essaies d'ignorer le rythme cardiaque qui s'emballe, on a dit ne surtout pas ressentir, pas maintenant, pas encore. Tu caresses l'image comme si le papier pouvait te révéler ce qui échappe à ton regard, tu renifles et tu écoutes mais il n'y a pas d'odeur ni de son, tout n'est qu'un visuel un peu flou tant la vue se brouille à force de trop focaliser.

Tu les vois les trous, là à côté de toi, partout autour. Tu les vois les choses et les êtres qui entourent ton personnage sans jamais le toucher. Tu les vois les premiers cheveux blancs et les premières rides qui s'accrochent et reflètent bien plus les soucis que le temps qui passe et s'abat sur toi... Tu les vois, ton air perdu, ton expression entre incompréhension et désolation, le voile d'ombre pile sur ton visage...

Tu te vois bien là, à essayer d'attirer l'attention, tu te devines, malgré l'immobilité de l'image, sautant et gesticulant et bougeant les bras dans tous les sens pour qu'on te regarde quelques instants. Ton niveau d'attention whorisme comme on dit dans certaines contrées se voit même quand tu ne dis rien et quand tu ne bouges pas...

C'est un peu pathétique mais ce n'est toujours pas le moment de raisonner en ces termes-là.
Regarde encore la photo, concentre-toi, regarde, là... tu vois ? Mais oui voilà, tu vois bien que tu n'es clairement pas encore prête pour ça.

© Isa – avril 2014

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