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samedi 8 mars 2014

Duel - La séduction (toi)

Approcher. Séduire. Consommer. Rejeter.

Nous y voilà. L'étape pendant laquelle tu t'éclates le plus. Celle qui te demande le plus d'effort, le plus d'inventivité. Le vrai défi. Ce qui s'est passé avant n'a été que la pose des premiers jalons et ce qui arrivera après ne sera que le début d'une fin programmée. Tout se joue ici. Tout se joue maintenant. 

Tu ne sais plus bien combien d'autres il y a eu avant moi. T'as une liste quelque part, jalousement gardée à l'abri des regards indiscrets, et tu l'as tellement bien cachée que tu ne sais même pas si tu pourrais remettre la main dessus, et puis ça fait quelques temps que tu ne l'as pas mise à jour . Ces derniers mois, ta consommation a été frénétique, décuplée, et tu as manqué de temps pour la paperasse, toute l'énergie était réservée à ton jeu, à ces 4 marches que tu montes et descends dans une boucle infinie, approcher, séduire, consommer, rejeter, y a pas de place pour les formalités administratives et l'archivage, y a pas le temps. 

Aujourd'hui t'aimerais pourtant le retrouver, ce tableau de chasse, tu le cherches partout, tu vides les tiroirs et tu remues ciel et terre, tu retournes tout autour de toi, ce papier il te le faut et tu te lances à sa recherche avec l'énergie du camé qui sait qu'il a là, quelque part, l'ultime dose prometteuse d'un aller simple vers la défonce mais qui, trop excité, passera 150 fois devant sans jamais poser les yeux dessus. 

T'en as besoin là maintenant, t'en as tellement besoin que tu arrives même à t'avouer que c'est pour te rassurer, que tu pourras y puiser l'assurance dont tu es un peu à court face à ton nouveau défi, que cette foutue liste de prénoms et de dates t'est nécessaire pour te rappeler que tu es bon, que tu sais jouer, que tu as toujours su et qu'aujourd'hui encore tu peux y arriver.

Parce que le défi du jour porte mon nom à moi et que tu sais déjà que ce ne sera pas facile. Tu l'as vu à mes regards quelque peu effrontés, emplis d'indifférence, bourrés de désintérêt, tu vois tout ça quand tu me vois et tu sais que la partie est loin d'être gagnée. Qu'il va falloir pousser un peu plus loin la personnalisation de ta stratégie à la mécanique d'ordinaire impeccablement huilée, standardisée, automatisée.

Mais tu me veux si fort que tu ne manques d'aucun courage, tu vas les faire ces putain de concessions sur tes habitudes chéries, tu vas le donner ce putain de temps que tu ne consacres jamais, tu vas les fournir ces putain d'efforts qu'on ne t'a pas demandé de faire depuis bien longtemps. L'échec n'est pas envisageable, tu feras ce qu'il y aura à faire, tu diras ce qu'il faudra dire, et peu importe que ça te prenne des semaines ou des mois, tu sais que tu veux et tu sais que tu auras. Il n'y a pas d'alternative.

T'en es là de tes réflexions quand tu retrouves enfin ce petit carnet gris - réceptacle, au cours de tes plus belles années de jeu, des noms de tes adversaires - et le timing de la trouvaille est parfait, tu le vois comme le signe de la réussite à venir, il ne peut en être autrement. Là haut dans le ciel t'as la putain de bonne étoile du séducteur sans faille qui guide chacun de tes mouvements, et plus près, juste là au-dessus de ton épaule, t'as ta marraine la bonne fée qui te susurre à l'oreille que tu ne peux qu'y arriver. 

Alors tu relèves tes manches, t'affiches ton sourire de winner, tu bombes le torse, tu te sers un Jack et tu te laisses tomber confiant sur le tapis angora qui trône là devant ta cheminée. Ton regard va des flammes à ton verre, tu y puises le feu et la fougue nécessaires, puis tes yeux se posent sur ce petit carnet que tu t'apprêtes à parcourir avec l'espoir que les souvenirs qu'il va faire affluer seront autant d'indices sur ce que tu vas devoir mettre en place pour parvenir à tes fins. Tes succès s'étalent devant toi, noir sur blanc, griffonnés de ta propre main, et te les remémorer fait couler dans tes veines la sève bénie de l'assurance retrouvée.

Avant de plonger plus profondément dans les abysses d'un passé qu'il te faut mettre au service de l'avenir immédiat que tu veux tracer, tu fermes les yeux quelques secondes, l'image de mon visage se colle sous tes paupières, tu souris encore, le rictus a des airs de sadisme mais qu'importe puisque personne ne te voit et qu'aucun miroir ne te montre ce à quoi tu ressembles quand tu es déformé par la rage et l'envie et les certitudes. Puis le sourire disparaît quand tes lèvres s'entrouvrent pour murmurer un "game on, poupée" qui te propulse illico à 10000 bornes au-dessus de la mer, pile à l'étage sacré où sont stockés ta confiance en toi, tes ruses et tes artifices. Tu décides de t'y promener un peu. Tu es prêt.

© Isa – mars 2014

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