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jeudi 21 novembre 2013

...un peu plus qu'une identité virtuelle...

Je venais te parler d'un dilemme auquel je suis confrontée au boulot. J'avais prévu de te faire l'historique de la chose, de te présenter ma liste de pour et de contre, et de terminer en te demandant si, à ton avis, je devais me lancer ou pas. Je commençais à poser les mots, tranquillement.

Et puis au milieu des phrases qui s'enchaînaient plutôt facilement, quelque chose se passe. Un flottement, un moment d'hésitation, les doigts qui s'arrêtent de pianoter. Presque instinctivement. 

Je scrute ce qui se passe à l'intérieur, c'est plutôt flou. Je suis dans l'incompréhension la plus totale : ce matin, je prévoyais déjà d'aborder ce sujet ici, cet après-midi, je choisissais les mots, les morceaux de phrase. Les raisons pour lesquelles je ne parviens pas à aller au bout de mon billet ce soir sont un mystère. 

Réaction primaire, nécessaire, j'efface les quelques lignes déjà rédigées. Sans prendre le temps de les relire pour les mémoriser, sans sauvegarder, sans aucun regret. Le souvenir des quelques jolies tournures de phrases qui s'y trouvaient est déjà lointain.

Phase deux. Affronter le vide laissé par les mots effacés. Ce cadre tout blanc qui se montre à moi sans pudeur. J'ai l'impression qu'il me nargue, qu'il cherche à me provoquer, qu'il sait que je ne sais plus comment le remplir.

Un coup d'oeil sur les rézosocio (pour m'en inspirer peut-être ?) me fait percuter immédiatement. Ce sont eux qui m'empêchent de livrer mes petites tracasseries professionnelles. C'est une évidence.

Twitter ne te permet d'être toi que lorsque ce que tu as à en dire est soit très drôle, soit très spirituel, soit bouleversant. Il ne te permet de t'exprimer que si tu le fais avec humour, avec originalité, avec talent. Il n'accepte de toi que tes éclairs de génie, que tes moments de grâce, que tes bons mots. Les seules occasions où il tolère et diffuse parfois tes histoires plus personnelles, c'est quand il se gargarise de leur sordidité, à la seule condition que tu y aies mis toutes tes tripes, que tu t'y sois dévoilée toute nue, avec toute la naïveté de penser que ton parcours peut interpeller. Là, il te partage, te diffuse, t'encense, te remercie même de t'être montrée sans défense, vulnérable. Là, il accepte que tu te confies à lui, pour faire pleurer dans les chaumières, pour que ton mal circule et libère ceux qui le voient de loin et se rassurent de ne pas l'avoir connu de plus près. 
Quand tu n'obéis pas à ses règles, Twitter te le fait payer tu sais. Il se désintéresse de toi à coups d'unfollow en chaîne. Tu n'es plus dans ses petits papiers, alors pire que d'être ignoré, tu es supprimé. Comme si tu n'étais que ce pseudo qui s'affiche devant chacun de tes mots. Comme s'il n'y avait aucun être humain derrière. Tu n'es qu'un personnage dématérialisé. Tu n'es qu'à un clic d'être suivi et qu'à un clic de disparaître du fil. Tu n'es que quelques mots que tu te dois de choisir avec pertinence. A chaque fois. 

Tu peux choisir de te réfugier chez son concurrent Facebook, un peu plus "à taille humaine". Parce que Facebook ne t'en voudra jamais de parler de toi, de ce que tu manges ce soir, de ta nouvelle paire de chaussures, des derniers mots prononcés par ton petit dernier. Les personnes qui t'y voient sont bien souvent des proches que tu connais "dans la vraie vie", alors ils te laissent dire ce que tu as à dire sans pour autant cliquer sur "supprimer" dès lors que cela ne les intéresse pas. Bon, ne va pas t'imaginer non plus que tes "amis" vont systématiquement rebondir, hein. Parfois ils te laissent affronter de grands moments de solitude et n'accordent aucun intérêt à ce que tu viens leur raconter. Mais ils resteront là. Pas loin, tout près. Certains se feront plus discrets que d'autres mais tu sauras d'une façon ou d'une autre qu'ils te lisent avec bienveillance. Fais quand même attention, il y en a toujours deux ou trois qui ne sont là que pour s'abreuver de tes petits potins sans jamais ô grand jamais manifester la moindre empathie, la moindre joie à l'annonce de tes bonnes nouvelles, la moindre compassion lorsque tu raconteras une tuile. Ceux-là, il te faudra apprendre à les repérer... et à composer avec, ou parfois sans, c'est bien aussi sans. 

Constater tout cela me bloque aujourd'hui au moment où je voudrais te parler de ce choix que j'ai à faire, comme si j'avais peur que cela ne présente pas le moindre intérêt pour toi. Comme si je préférais te ménager plutôt que de librement m'exprimer... Je m'auto-censure pour ne pas te déplaire, et je me demande du coup si tous ces réseaux sont vraiment sociaux...

Je dédie ce billet à tous ceux qui le liront, à ceux qui me suivent ici ou là, parfois avec beaucoup d'attention et parfois sans comprendre que de l'autre côté du PC il y a une vraie personne, un cœur qui bat, un cerveau qui réfléchit, des yeux qui lisent tes mots et essaient systématiquement de voir ce qu'il y a entre tes lignes, des épaules qui supportent le poids du quotidien, des bras qui peuvent tomber très bas de déception/ monter très haut pour fêter une victoire/ étreindre très fort pour manifester de l'affection.
"Je" n'est pas qu'un pseudo.

© Isa - novembre 2013

4 commentaires:

  1. Je me pose également ce type de questions face aux réseaux sociaux. J'y suis, je me dévoile, sans doute plus qu'il ne faudrait, je n''y parle quasiment jamais de mon travail ou alors vaguement. J'ai un blog, avant la porte en était fermée, confidentielle, à présent il est plus visible...
    Il y a des passerelles entre tous ces média, je l'ai voulu ainsi, je n'ai pas plusieurs identités, plusieurs comptes, je suis moi, et je suis ainsi.
    Je n'oublie jamais que derrière chaque pseudo, c'est une vie, un humain, des sentiments, des émotions, c'est ce qui est le plus important, c'est ce qui est essentiel. Peu importe finalement ceux qui n'en font qu'un jeu, qui se composent un personnage. Ce qui compte pour moi, ce sont les gens sincères, et je sais qu'il y en a, beaucoup... Je sais aussi que tu en fais partie même si on ne se connaît pas depuis bien longtemps.
    Fais donc comme tu le sens, exprime toi comme tu en as envie, ne te pose pas trop de questions, de dilemme, ne tombe pas dans le piège de vouloir plaire. Etre aimé tel que l'on est c'est la seule chose qui vaille la peine, le reste est littérature.

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    1. Venise tu es depuis le début une exception aux comportements déplorés dans ce billet. Tu suis avec attention, avec intérêt et bienveillance, et je me régale de ces (bien trop rares) rencontres que l'Internet m'offre parfois.
      Je tente de rester moi, mais je suis plusieurs, et parmi mes facettes il y en a une qui aime la popularité & s'abaisse parfois à ne penser que par elle. Heureusement mes autres "moi" prennent le plus souvent le dessus. Heureusement !!!
      Merci pour ta présence.

      *Commentaire initialement posté le 21/11/13 à 20h*

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  2. Bonsoir
    Je viens de découvrir votre blog et votre texte est vraiment intéressant et on y sent une grande sincérité. Merci.
    Vous avez raison, il y a un être humain derrière les pseudos.
    Je ne lis que des blogs, pas les réseaux sociaux. La "peinture" que vous en faite ne me donne aucun regret.
    Ou est l'authenticité si l'on ne peut pas être soi-même et si l'on doit mettre un "masque "pour plaire? Quel intérêt pour les lecteurs et l'auteur?
    Comment exprimer son humanité s'il faut suivre des règles pour plaire?
    j'apprécie les blogs dans lesquels l'auteur s'exprime avec sincérité, les blogs à but non mercantile, sans objectif de grand nombre de lecteurs.
    C'est là que les gens sont eux-mêmes et c'est appréciable. Ils y écrivent des textes profonds, non formatés, qu'on ne lit pas ailleurs.
    Merci et à bientôt de vous lire
    NB: le commentaire de Venise et votre réponse sont intéressants à lire aussi
    Une lectrice
    L...............



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    1. Bonjour et bienvenue ici, L...
      Merci pour votre petit mot et les jolis compliments que vous y glissez.
      Pour en revenir au texte, effectivement toute la difficulté est de parvenir à continuer à montrer son humanité, son individualité vraie, dans un monte où l'image, le compteur, le reflet sont omniprésents. L'exercice n'est pas aisé mais peut-être plaisant, à condition qu'on sache garder le cap.
      Au plaisir de vous croiser de nouveau.

      *Commentaire initialement posté le 26/11/13 à 6h30*

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