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vendredi 30 octobre 2015

La bombe

Ça faisait des jours, des semaines, des mois qu'elle attendait. A la frontière entre l'inconscient et le conscient, entre le refoulé et l'assumé, c'était là, en elle, en trame de fond, comme un running gag qui n'a rien de vraiment drôle, une douleur épisodique mais lancinante, une mélodie un peu débile dont elle n'arrivait pas à se débarrasser sans pour autant s'autoriser à la fredonner, c'était là.

Et puis la déflagration. Brutale, nette, sans bavure, sans échappatoire, le choc. Bien sûr, quelques secousses sismiques l'avaient récemment alertée mais, bien trop occupée à nier ce qu'elle-même espérait de lui, bien trop persuadée qu'elle interprétait à tort ce qu'il lui susurrait parfois, elle avait vite éteint chacune des petites alarmes internes qu'il avait insidieusement allumées. Elle avait d'ailleurs été aidée par ses rétractations systématiques, les trois pas qu'il faisait en arrière à chaque fois qu'il en faisait un demi en avant, les détours, les brusques changements de sujet, les marques d'affection destinées aux autres, les marques de rejet, autant d'indices qui l'empêchaient de croire à ce dont elle avait tellement envie de croire.

Et pourtant, maintenant, la lumière aveuglante braquée sur une réalité qui les déroutait tous les deux, ses mots à lui, très clairs, très assurés, entourés de pudeur mais ne laissant planer aucun doute, et l'onde qui la parcourt lorsqu'ils parviennent jusqu'à elle, à mi-chemin entre la délivrance et la déchirure, c'est le flux et le reflux immédiat, la déferlante qui s'abat, inarrêtable, puis se retire, sereine, comme fière de son petit effet, de son timing parfait, c'est la main de ce joueur de poker qui se dévoile aux yeux de tous et la montée d'adrénaline qui envahit ses adversaires juste avant qu'ils ne réalisent qu'ils ont tout perdu, c'est l'intensité, puis le vide.

Alors, quoi, maintenant ? Quoi, comment, quand ? Qu'est-elle censée faire de ça ? Comment doit-elle le vivre, comment doit-elle l'endurer, comment doit-elle le surmonter, qu'est-elle censée lui dire, ne pas lui dire, lui montrer, lui cacher encore, comment peut-elle oublier alors qu'elle ne voudrait plus jamais oublier, comment faire comme si ce n'était rien, qu'un léger obstacle sur la route, qu'une broutille qui ne fait pas sens, qu'une erreur de parcours ? Comment lui laisser de la place sans en faire trop, comment respecter qu'il ait fermé la porte sans hurler qu'elle voudrait l'enfoncer, comment le garder tout près en se maintenant à bonne distance, comment être loin tout en ne lui échappant pas totalement ?

Elle était aujourd'hui clairement engagée sur la route de leurs non-dits. Derrière elle, toutes ces choses qu'ils s'étaient enfin dévoilées. Devant elle, encore tant de choses à lui murmurer. Tant de choses à entendre de lui.

Et tout autour, l'absence totale de certitudes sur le sens dans lequel elle devait désormais avancer.

© Isa – octobre 2015

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