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jeudi 24 septembre 2015

C'est arrivé dans un TGV

Il y a de l'ironie dans le sourire que j'affiche en pensant à l'adage selon lequel "les voyages forment la jeunesse". À bord du TGV qui m'emmène vers des obligations professionnelles dont je me serais volontiers passé, je tente de me rappeler la dernière fois où j'ai pris plaisir à voyager, la dernière fois où j'en ai retiré quelque chose de formateur, où je l'ai vécu comme une aventure, où il y a eu du frisson, de l'excitation, comme si peu importait la destination,  pourvu qu'il y ait le mouvement.

Désormais tout ceci m'échappe complètement. C'est contraint et forcé que je subis les départs, aujourd'hui parce que mon métier me l'impose, demain pour satisfaire les lubies de vacances de celle qui partage ma vie, après-demain parce qu'il me faudra toujours revenir. Je me prête au jeu avec la soumission d'un pantin de bois asservi, docile, toujours faire ce qu'ils attendent de moi, eux, elle, la vie. Alors je m'exécute, métronome à la régularité implacable, sage et discipliné, physiquement animé mais intérieurement inerte, en veille. Obéissant.

Quant à moi, si j'en venais à m'écouter un peu, les choses seraient bien différentes. Moi, je voudrais ne plus jamais bouger. M'ancrer, m'enraciner, enfoncer mes deux pieds dans le sol et refuser qu'on m'en déloge, crier, hurler à m'en briser la voix que la moindre idée de mouvement m'est tout à fait insupportable, que je ne veux plus qu'on me force, que je ne veux plus subir, que j'ai trouvé ma place, que bon sang mais partez sans moi je vais vous ralentir.

Et à l'apparition de ce scénario dans ma tête, de nouveau, un sourire. Cette fois dénué de toute ironie. Se peut-il que je sois encore suffisamment optimiste pour être en mesure d'imaginer qu'un jour je parvienne à réaliser le double objectif d'avoir trouvé l'endroit destiné à m'accueillir et d'être assez fort pour imposer ma volonté de ne plus jamais en partir ? Se peut-il qu'il y ait encore en moi la capacité à croire à un avenir différent de celui qui se profile depuis toujours et que je construis de façon - pensais-je - inéluctable ? Se peut-il qu'il reste encore un peu d'espoir à l'intérieur de l'homme blasé que je me targue d'être auprès de qui veut l'entendre ?

C'était encore inenvisageable il y a quelques minutes. Improbable, insensé, inexistant. Et là, maintenant, c'est là, présent.

C'est à bord d'un TGV qui m'emmène vers des obligations professionnelles dont je me serais volontiers passé que j'ai compris que oui, les voyages forment la jeunesse, et peut-être pas qu'elle. C'est partir qui a déclenché ces associations d'idées que je n'avais jamais vraiment fait remonter à la surface de ma conscience. C'est être en mouvement qui a imposé cette farouche volonté de trouver cet abri duquel je ne me laisserai jamais chasser.

C'est au moment exact où mon train entre en gare précisément à l'heure prévue que je réalise que moi, en revanche, j'ai déjà accumulé bien trop de retard. Mais aussi et surtout que j'ai en moi et l'envie et l'énergie nécessaires pour le rattraper.

Poussez-vous, Messieurs-Dames, vous ne le savez pas mais c'est ici, maintenant, sur ce quai de gare bondé, qu'il me faut me dépêcher d'avancer. Je pars en quête de l'endroit où je vais enfin pouvoir me figer.

© Isa – septembre 2015

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