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samedi 27 septembre 2014

Rire & Vivre

On a probablement tous connu ces périodes un peu folles, un peu détachées de toute réalité, pendant lesquelles on s'est laissé aller à vivre à mille à l'heure, à dévorer, à se gaver, à s'enivrer des moments beaux et forts qui passent trop vite pour qu'on prenne le risque d'en perdre la moindre miette, on a tous couru après le temps, essayé de caser plusieurs journées à l'intérieur de 24 petites heures, on s'est senti pousser des ailes, mis en mouvement par une énergie dont on ne sait jamais tout à fait d'où elle nous vient, on s'en fout un peu d'ailleurs, l'important c'est d'avoir le jus, c'est d'avoir les muscles prêts pour l'effort, c'est d'en avoir assez sous le pied pour continuer à bouger.

Alors on y va, on croque et c'est grisant, on ne s'arrête plus parce que faire des pauses c'est pour les faibles, c'est une perte de temps, c'est gaspiller des secondes précieuses qu'on pourrait passer à vivre encore plus intensément, et puis s'arrêter ça voudrait dire aussi stopper le délicieux étourdissement qui ne nous quitte plus, tu sais quand la tête te tourne un peu parce que tout ton corps est en branle, parce que ton cœur bat fort et que tu vas encore plus vite que la vie qui grouille autour de toi, quand tu tiens debout uniquement grâce à ton mental qui te pousse à surpasser toutes tes limites physiques, quand tu te drogues à l'euphorie et à l'effervescence.

Alors on fait tout de façon frénétique, compulsive, instinctive, irréfléchie, irraisonnée, déraisonnable aussi, on avale des kilomètres de pavés arpentés, on fait la fête, on danse, on lève les verres et on les fait s'entrechoquer, on trinque à l'amour et à l'amitié et au bonheur et à l'insouciance et à la vie, on trinque à ce qu'il y a entre nous et aux sourires qu'on s'échange et à nos yeux qui se parlent sans que nos bouches n'aient à prononcer le moindre mot, on se rend soûls de ces instants de complicité, on est juste assez attentifs pour ne rien rater de ce sentiment incroyable d'être en parfaite harmonie avec soi, avec la terre sous nos pieds, avec les autres autour. Le reste n'est que futilité. Le reste n'existe pas.

On ne se laisse pas redescendre, ce serait une petite mort un peu, ce serait une fin trop brutale et on n'a pas les épaules pour ça, nous ce qu'on veut c'est poursuivre ainsi jusqu'au bout de la nuit, jusqu'au bout de la vie, on veut encore de la musique et le bruit des rires et l'ivresse et la folie aussi, on veut que ça s'éternise, on n'est même pas fatigués, et puis on se reposera quand on sera vieux, on arrêtera quand on sera morts. Alors on danse et on chante et on partage encore, on rit encore à s'en faire mal au bide, de cette douleur délicieuse qui nous rappelle qu'on est vivants, de cette brûlure contagieuse qui nous rappelle qu'on s'aime et qu'il n'y a plus que ça qui compte.

Et pendant qu'on fait tout ça, la vie coule autour de nous, son flot continu et imperturbable avance toujours dans le même sens, charriant avec lui tout un lot de choses dont on ne devine même pas l'existence, trop occupés qu'on est à ne penser qu'au plaisir, elle coule et met en place un avenir qu'on ne soupçonne pas, elle coule et tisse un filet dans lequel doucement elle nous emprisonne sans qu'on ne s'en rende compte, elle coule et met de l'enjeu là où on ne s'attend pas à ce qu'il y en ait un jour.

"On rigole, on rigole, et si ça se trouve là tout de suite, sans le savoir, on est à un tournant de nos vies" a-t-on résumé sur Twitter hier soir. 

Sans pour autant se demander si dans quelques heures, on en rira encore.
Sans pour autant chercher à avoir les idées plus claires.
Sans pour autant freiner ou au moins ralentir avant qu'il ne soit trop tard.
Sans pour autant parvenir à être suffisamment lucide pour comprendre que ce n'est pas parce qu'il est invisible que le mur en face n'existe pas.

Sans savoir si c'est une question d'heures, de jours ou d'années avant que la vie ne reprenne ses droits et nous force à prendre un virage inattendu pour lequel on n'a jamais été si peu préparés.

Alors chantons, dansons, trinquons, rions... jusqu'à ce que toute la poudre qu'on se jette aux yeux ne cesse subitement de faire effet. Parce qu'inévitablement, ce moment-là va finir par arriver.

© Isa – septembre 2014

2 commentaires:

  1. Superbe texte, bien écrit, très rythmé. J'adhère à ce que tu dis. Continue Isa, c'est toujours un plaisir de te lire.
    Jérôme Desmots

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  2. Super texte as usual!!!!! Et le tournant c pour maintenant ou pas alors ? Amelie

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