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lundi 22 septembre 2014

Ton monde à toi

Dans ton monde à toi, il n’y a que peu de place pour l’immobilisme. Stagner n’est pas une option, le mouvement est perpétuel, il faut avancer, marcher, courir, surtout ne pas ralentir, ou alors juste le temps d’observer et de choisir l’itinéraire, mais vite, sans traîner, rester sur place ça veut dire prendre le risque de voir le ciel se charger de nuages, prendre le risque de voir la nuit tomber. Comme tu n’aimes ni la tempête ni l’obscurité, tu préfèreras toujours partir en quête d’un ailleurs où il fera jour et grand soleil. Il y a quelque chose de l’oiseau migrateur dans ta personnalité, quelque chose d’animal dans l’instinct de survie qui te pousse à te déplacer, quelque chose de primaire dans tes envies de large.

Dans ton monde à toi, la peur de la chute n’empêche jamais la prise de risque. Ta capacité à envisager la douleur potentielle sans chercher à la fuir renvoie à une forme de courage aux yeux de certains, mais toi tu sais bien que ça s’explique plutôt par une certaine forme de folie, d’inconscience, de déni. Tu sais bien que c’est une drogue tout ça, essayer tout, tout le temps, à tout prix, sans penser aux conséquences autres que celles que tu espères, tu te répètes que la peur n’évite pas le danger et ça te donne tous les courages de la Terre, toute la puissance aussi, ce sentiment étrange d’être invincible et incassable alors que le passé t’a prouvé mille fois que quand tu tombes, ça fait mal. Mais forte de t’être relevée mille et une fois, tu accepteras toujours la possibilité de tomber encore.

Dans ton monde à toi, l’impatience est un mode de vie, un art que tu maîtrises à la perfection, trépigner fait partie du quotidien comme respirer ou te nourrir, d’ailleurs tu n’inspires pas que de l’air mais aussi de grandes bouffées d’envies ; tu ne te gaves pas que de nourriture terrestre mais aussi d’émotions, de moments, tu fais une boulimie de projets, de plans sur la comète, de désirs de plus en plus grands, de plus en plus impérieux, jusqu’à devenir plus importants que toi, tu n’es que l’exécutant de ces choses qui se décident sans toi, tu n’es que l’instrument par lequel elles finiront forcément par arriver, tu n’es que le pantin articulé contrôlé par son bouillonnement intérieur. Elle est faite de tout ça, ton énergie vitale, elle n’est rien de plus que ça.

Dans ton monde à toi, la consommation est rapide et excessive, à la limite du frénético-compulsif, il en faut beaucoup pour te rassasier, jusqu’à épuisement des stocks, jusqu’au bout du bout, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien à racler, tu veux tout, tu grattes encore, tu creuses plus loin pour être sûre d’avoir atteint la moelle, d’avoir touché la quintessence, de ne rien avoir manqué. Et même après ça il t’en faut encore, tu tapes du pied, tu te plains, tu en redemandes, j’en veux encore, encore, encore, puis tu te résignes et t’empresses de trouver une nouvelle chimère à poursuivre, un nouvel os à ronger, une nouvelle cible à atteindre, vite, vite, surtout ne pas rester immobile, surtout ne pas rester frustrée, surtout ne pas faire de place à l’angoisse qui pourrait s’engouffrer.

Dans ton monde à toi, où il n’y a de place pour personne, tu en as pourtant laissé entrer quelques-uns et tu vis tous les jours avec la peur au ventre que ce que tu es les fasse fuir, qu’ils s’en aillent, fatigués de ne pas comprendre, usés par tes mouvements incessants qui leur donnent parfois la nausée, impuissants face à tes frasques qu’ils ne savent ni décoder ni endiguer, incertains du rôle qu’ils ont à jouer et de la place qu’ils ont à prendre, étouffés par la quantité d’amour qu’il y a en toi pour eux, démunis par ton apparente fragilité, lassés.

Dans ton monde à toi, les flux circulent vite et dans tous les sens, alors tu vacilles parfois, la tête te tourne un peu, tes jambes en trembleraient presque et tu vis toujours en plein courant d’air. Tu suffoques, tu t’épuises, tu t’énerves d’avoir construit pareil univers et de continuer à y évoluer. Le problème majeur étant qu’à part précisément à cet endroit là, il n’y a nulle part au monde où ton vrai toi est en mesure d’exister.

© Isa – septembre 2014

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