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samedi 28 mars 2015

(im)patience

On me dit que le temps coule, mais le débit est faible tu sais, tout doucement ça coule alors, moi j'ai le temps de voir les minutes fondre, les secondes défiler une par une, elle s'égrènent, litanie silencieuse et incessante mais lente, incroyablement lente, t'imagines même pas comme c'est long une heure, une heure ça en dure mille quand tu regardes bien.

On me dit que grandir, c'est aussi apprendre à patienter, rester calme et imperturbable, que les choses finissent par arriver, cet appel que tu espères si fort, ce message que tes yeux brûlent d'envie de lire, cet écran que tu veux voir s'allumer et clignoter, ces rencontres que tu n'as plus la force de repousser, on me dit que ça vient, mais ça prend un temps fou, se peut-il que ces choses se déplacent à la vitesse d'une femme à talons après une longue journée de shopping, se peut-il qu'elles aient oublié qu'il existait des raccourcis, des moyens de transport plus rapides aussi, se peut-il que bon sang personne n'ait encore songé à inventer la téléportation ?

On me dit qu'il faut cacher les signes d'impatience parce que ça peut faire peur aux gens autour, que ça ressemble trop à la folie du manque, les mains qui se crispent, le front moite, les jambes qui tremblent nerveusement, les mots qui sortent vite et fort et sans maîtrise aucune, les doigts qui entortillent les cheveux fébrilement, mais comment tu veux que je fasse ça moi, moi en qui on lit comme dans un livre ouvert, moi qui suis l'illustration parfaite de l'expressivité, ces putain de joues qui chauffent à la moindre émotion et quand ça chauffe ça rosit et ça se voit, ces yeux qui se gorgent de larmes dès le premier trouble et quand ça se gorge ça finit par couler et ça se voit, ce palpitant qui passe de 0 à 100 en moins d'une seconde et quand ça s'emballe ça fait frémir et ça se voit, cette peau qui réagit au quart de tour et quand ça frissonne ça hérisse les poils et ça se voit, mais vas-y viens m'apprendre à dissimuler tout ça, viens dire à mon corps qu'il me trahit, parce que tu te figures qu'il ne le sait pas ? Bien sûr qu'il le sait et il en joue et il en abuse, cherche pas il fait exprès, c'est pas possible autrement, c'est un peu comme s'il aimait ça, être un immense panneau d'affichage, montrer ce qui se passe dedans, désobéir à ma tête, il aime ça et dans ces moments-là c'est toujours lui qui décide mais viens tenter de lui apprendre à se maîtriser en public, si t'y arrives tu seras bien meilleur que moi, bien meilleur que tous ceux qui tentent de me calmer, bien meilleur que tous ces psys entre les mains desquels je suis passée.

On me dit qu'il suffit d'avoir confiance, en moi, en l'avenir, en ceux qui m'entourent, en la vie qui un jour paiera ses dettes et donnera ce que tu mérites, oui mais comment on fait quand on mérite pas forcément, quand on est un peu en rade de karma, à découvert de bonnes actions, comment on fait quand on n'est vraiment pas sûr d'avoir droit à sa parcelle de bonheur, est-ce que j'ai fait assez de bien, est-ce que j'ai travaillé assez fort, est-ce que j'ai assez construit, est-ce que je me connais suffisamment, est-ce que j'ai répandu assez d'amour et de toute façon qui suis-je pour prétendre que la vie me doive quoi que ce soit et puis faut dire que les rues sont pleines de gens chouettes à qui il n'arrive que des merdes alors rêve pas ma grande y a pas de raison pour que tu échappes à la fatalité, rêve pas tu n'as pas de créances sur le bien, finis d'abord de rembourser, on verra après, et lâche pas l'affaire mais n'oublie pas non plus que t'as pas encore attaqué le capital t'es encore sur les intérêts.

On me dit que la patience s'apprend, se travaille, s'acquiert petit à petit.
Qu'avec le temps, ça vient.
Qu'il faut patienter pour ça.

Hahaha.

© Isa – mars 2015

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